Une femme prend un jour le volant. Direction : Cap Canaveral, pour réaliser un vieux rêve d’enfant. Sous ses airs de récit de voyage, façon « road trip » au féminin, Soline Asselin propose dans ce tout premier roman un véritable voyage dans le temps au pays des grandes aventurières, aussi méconnues que pionnières.

Voyage vers une fusée, publié ces jours-ci aux éditions du Marchand de feuilles, est une lecture fascinante à plusieurs égards. Ce n’est pas votre roman d’été léger habituel, disons. Attendez-vous plutôt à un récit costaud et engagé à lire et à faire partager, qui rend à Jeanne d’Arc ce qui est à Jeanne d’Arc (pour citer la plus célèbre). Mais aussi à Jeanne Barret (première femme à faire le tour du monde), Bessie Stringfield (première Afro-Américaine à faire le tour des États-Unis à moto) ou Ada Blackjack (qui détient un record de survie en Arctique) ce qui leur appartient, mais qui leur a été nié, ou tout bonnement ignoré, pendant tant d’années. À elles, comme à une bonne vingtaine d’autres qu’on découvre au fil des pages.

L’autrice, cofondatrice du festival Filministes, également étudiante au doctorat en études et pratiques des arts, a mis cinq ans à écrire ce premier roman qui se lit d’un trait, et qui donne drôlement envie de bouger, faut-il le préciser. Et à voir la quantité de références en tous genres, à la fois scientifiques, littéraires et historiques, ça n’est pas étonnant.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’autrice Soline Asselin

À la base, j’avais envie d’écrire un livre sur les aventurières, et j’avais en tête un livre très académique.

Soline Asselin, autrice

« Puis le récit s’est ajouté, pour avoir une forme qui se colle au récit de voyage », ajoute l’autrice, rencontrée plus tôt cette semaine.

Dans ce roman habilement construit, on suit l’alter ego de Soline Asselin de son départ de Montréal jusqu’en Floride, à travers ses nombreux arrêts et autant de pérégrinations. Ici dans une halte routière, là dans un stationnement de Walmart, le trajet respire l’américanité et c’est voulu. Pendant ses quelque 3400 kilomètres à travers les montagnes de la Virginie-Occidentale et du Tennessee, chaque rencontre, réflexion ou état d’âme, de la solitude à la peur en passant par le courage et la curiosité, est prétexte à un détour dans le temps, au féminin, on l’aura compris.

C’est ainsi que ses premiers kilomètres sont alimentés par une réflexion sur toutes ces femmes qui sont restées derrière à attendre leurs hommes, telle Pénélope dans L’odyssée d’Homère. Si on a longtemps nié aux femmes la liberté de voyager, Soline Asselin enchaîne avec le récit de la première femme à avoir fait le tour du monde : Jeanne Barret. « Il y en a sûrement eu d’autres avant, sauf qu’elles n’ont pas laissé de traces », précise ici l’autrice. Le saviez-vous ? À l’époque (1776), les femmes sont interdites à bord des navires d’exploration. On dit qu’elles portent malchance. Déterminée à partir, Jeanne Barret se bande les seins et adopte une voix grave, et réussit ainsi à berner les troupes et accompagner Philibert Commerson, naturaliste de Louis XV, dans son expédition.

Où sont les femmes ?

C’est en visionnant un court métrage de Georges Méliès, réalisé en 1902 (Le voyage vers la lune), que la narratrice, dont le père était un grand voyageur, a commencé à réfléchir à cette question de la place des femmes en tant que personnages éternellement secondaires. Dans ce film muet, écrit-elle, on voit un sorcier barbu expliquer à ses collègues toute la mécanique technologique derrière ce voyage anticipé sur la Lune. À l’arrière : trois femmes semblent prendre des notes passionnément. Mais quelques plans plus tard, quand le décollage a finalement lieu, elles ne sont pas du voyage. « Ce n’est pas le courage qui me pousse à partir seule, écrit alors l’autrice, qui confiera avoir eu peur tout le long. C’est plutôt que je souhaite la revanche des personnages secondaires. » Et si ces trois femmes avaient été du voyage ? Et si on racontait les histoires de toutes celles, méconnues, qui ont fini par voyager ?

Elle ne le cache pas, il y a quelque chose de très satisfaisant à rendre ici enfin hommage à ces pionnières de l’ombre. « Quand même, dit en riant Soline Asselin. Mais c’est moins une revanche qu’une autre histoire. »

« Ces personnages secondaires sont les personnages principaux de tellement d’histoires ! », souligne l’autrice.

Mon but, c’est de mettre de l’avant ces vécus qu’on ne connaît pas.

Soline Asselin, autrice

Certes, elle s’est retrouvée ce faisant avec certaines « tensions », difficiles à concilier. Car si plusieurs femmes sont de vraies héroïnes féministes, leur parcours s’inscrit souvent dans une trajectoire colonialiste. « C’est une tension qui ne se résout pas, avance Soline Asselin. Il ne faut pas la nier. Quand on écrit à partir de vies réelles, on doit composer avec le fait que ces vies sont imparfaites. » Le meilleur exemple : la cosmonaute Valentina Terechkova, première femme dans l’espace. « Aujourd’hui, elle est députée de la Douma et vote pour Poutine. Elle a dit que Zelensky était l’Antéchrist », glisse-t-elle. D’où la question, qui sous-tend le texte : « Jusqu’où peut-on admirer quelqu’un ? »

N’empêche. « J’espère que les gens vont s’intéresser à des figures qui ne sont pas toujours les mêmes, souhaite l’autrice. J’espère que les gens vont sortir des figures habituelles et se rappeler que c’est un immense privilège que de pouvoir voyager. » Privilège qu’on doit en grande partie à toutes ces pionnières téméraires.

Voyage vers une fusée

Voyage vers une fusée

Marchand de feuilles

285 pages