Nos critiques de bandes dessinées d’ici et d’ailleurs.

Une adaptation poignante

Il y a des livres qui nous hantent longtemps après la dernière page. La route, de Cormac McCarthy, est de ceux-là. Manu Larcenet (Le combat ordinaire, Blast) plonge dans cette histoire de cendres et d’errance où l’on suit un garçon et son père poussant un chariot le long d’une route qui traverse une Amérique dévastée par un cataclysme jamais nommé. Ils ont faim, le petit a peur. Il a raison, parmi ces « méchants » qui patrouillent dans ce pays perdu, certains mangent d’autres humains pour survivre. Le pouvoir de la littérature est de nous laisser imaginer ce que les mots évoquent. Celui de la bande dessinée, c’est de montrer sans tout dire, sans prendre toute la place. Avec une économie de mots fort à propos, Manu Larcenet propose des images inquiétantes dans un style puissant. Son petit clin d’œil à Sempé, l’envers de l’enfance racontée ici, a une terrible portée poétique.

La route

La route

Dargaud

155 pages

8,5/10

L’esprit vif

La bédéiste Axelle Lenoir, primée au Bédélys 2023 pour le deuxième tome de Si on était et citée aux Eisner Awards pour la version anglaise du premier (What If We Were), revient avec Passages secrets – Trompe-l’œil. L’œuvre, d’abord publiée en anglais en 2022, est en lice pour le Bédélys Québec qui sera remis à l’ouverture du Festival BD Montréal, à la fin du mois. Ici encore, la créatrice met son sens du dialogue et de la chute au service d’une histoire rocambolesque, teintée d’autodérision. Sorte d’autobiographie fantasmée, le livre montre la petite Axelle, assez malcommode, prise entre deux frères qui le sont encore davantage et des parents plutôt space. C’est chaotique, c’est drôle et le ton est vif, comme toujours chez elle.

Passages secrets – Trompe-l’œil

Passages secrets – Trompe-l’œil

Pow Pow

224 pages

7,5/10

Polyamour et Utopie

Marsu, architecte allumée, a le coup de foudre pour Thom, créateur d’espace virtuel. Et c’est réciproque. Leur relation, d’abord amicale, évolue vers une grande intimité à mesure que Marsu se familiarise avec la réalité virtuelle, qui lui permet de vivre deux vies à la fois : l’une dans le monde réel avec son amoureux, l’autre dans le monde virtuel avec Thom. Récit poétique sur le polyamour, Le champ des possibles est empreint d’optimisme et de tendresse, même s’il effleure aussi les difficultés vécues par les amoureux vivant des relations multiples. Le style coloré est empreint d’une certaine naïveté, mais offre de belles pages qui transmettent bellement l’intensité des émotions vécues par les personnages et le caractère utopique de l’histoire racontée.

Le champ des possibles

Le champ des possibles

Dupuis

127 pages

6,5/10

Hymne à la beauté du monde

L’idée est originale : L’ouvrage met en scène une botaniste interstellaire appelée Anthéa qui passe de monde en monde depuis on ne sait combien de temps pour prendre soin des plantes. Elle en a, de l’ouvrage ! Elle est aussi placée devant la beauté et la variété des plantes qu’on trouve dans ces différents univers, sachant comment soigner les malades et faire fleurir celles qui sont en santé. Elle prend son rôle au sérieux et se sent indispensable jusqu’au jour où elle revient sur une planète qu’elle a visitée il y a fort longtemps et où des gens ne veulent plus qu’elle se mêle de leurs affaires... L’ouvrage, réalisé par un trio mené par Dominique Trudeau (le père, au dessin) et ses fils Félix et Loïc, parle bien sûr de la nécessité de prendre soin de notre environnement, mais aussi, en filigrane, des droits qu’on s’arroge sur la nature et du mal qu’on peut lui faire, même sans mauvaises intentions apparentes. Poétique, philosophique, porté par un dessin foisonnant empreint de naïveté, L’ouvrage montre autant qu’il invite à ouvrir son imaginaire.

L’ouvrage

L’ouvrage

Mécanique Générale

160 pages

6/10