Faste année littéraire que celle qui se termine. Nos journalistes ont eu la difficile, mais stimulante tâche de sélectionner les dix titres qui les ont marqués.

Plessis, Joël Bégin

Très exactement personne n’aurait pu prédire que le livre à l’imagination la plus abondante de 2022 fouillerait les circonstances entourant la mort de… Maurice Duplessis ! Avec ce premier roman, une fiction historique sous acide, qui parle peut-être davantage du présent qu’on aimerait le penser, Joël Bégin entremêle mille tonalités, sans couac, et élève la paranoïa au rang d’irrésistible jeu, en conjuguant la folie de Thomas Pynchon à la langue de Jacques Ferron. Le conspirationnisme est une des pires plaies de notre siècle, sauf lorsqu’il est mis au service de la littérature.

Dominic Tardif, La Presse

Plessis

Plessis

VLB

408 pages

Que notre joie demeure, Kevin Lambert

Crise du logement, culture de l’annulation, écarts de privilèges. À première vue, le troisième roman de Kevin Lambert ressemblait à une carte de bingo de sujets à la mode. C’était bien sûr sous-estimer la finesse de la pensée de celui qui humanise, sans dédouaner, la riche architecte Céline Wachowski, dont il dresse un portrait à la fois implacable et empathique. Il rappelle par le fait même que la littérature n’a pas à chercher de coupables, mais qu’elle ne devrait pas pour autant renoncer à désigner les forces qui concourent à la fragilisation de nos solidarités.

Dominic Tardif, La Presse

Que notre joie demeure

Que notre joie demeure

Héliotrope

384 pages

Le fil du vivant, Elsa Pépin

Sa plume est poétique et évocatrice, tout en finesse. Dans son deuxième roman, en lice pour le Prix littéraire des collégiens, Elsa Pépin plonge le lecteur dans un « Montréal-Atlantide », alors que l’île est ensevelie par une pluie qui ne semble jamais vouloir s’arrêter, et que Iona, la narratrice, est elle aussi avalée par son déluge intérieur. Un récit très bien fignolé, avec sa part de suspense, qui aborde de façon intimiste des enjeux comme les changements climatiques, la maternité et les paradis artificiels.

Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Le fil du vivant

Le fil du vivant

Alto

230 pages

Une femme extraordinaire, Catherine Ethier

Quiconque avait minimalement prêté l’oreille aux chroniques de Catherine Ethier se doutait qu’elle avait tout d’une authentique écrivaine. Mais à ce point-là ? Il était impossible d’imaginer que chacune des phrases d’Une femme extraordinaire ferait éclater un tel feu d’artifice d’arabesques pop-poétiques, désarmant vernis comique camouflant une critique impitoyable du (pas si) merveilleux monde des médias. « Ne pas mourir, c’est de l’ouvrage », observe l’alter ego de l’autrice, une amie de la mélancolie qui, malgré son air perpétuellement guilleret, a l’âme en berne.

Dominic Tardif, La Presse

Une femme extraordinaire

Une femme extraordinaire

Stanké

304 pages

À la maison, Myriam Vincent

Après avoir détourné les codes de la fiction vengeresse dans Furie (2020), Myriam Vincent s’approprie avec brio ceux du roman d’horreur entre les pages anxiogènes d’À la maison, dans lequel le rêve de la petite famille parfaite se transforme vite en cauchemar. Au cœur d’un bungalow étrange dont les quatre murs semblent investis d’une volonté propre, symbole inquiétant d’une maternité étouffante et du conformisme comme prison, le bon Phil tente de convaincre sa blonde Jessica que tout ça n’est que le fruit de son cerveau fatigué. Il aurait évidemment dû mieux écouter son amoureuse.

Dominic Tardif, La Presse

À la maison

À la maison

Poètes de brousse

322 pages

Les marins ne savent pas nager, Dominique Scali

Qui a dit que la littérature québécoise manquait d’ambition ? Dans son deuxième livre-fleuve, Dominique Scali arrime à la structure d’un roman d’aventures l’édification d’une mythologie insulaire, parfaitement fictive, mais où les écarts de privilèges ressemblent beaucoup à ceux qui lestent notre époque. En son cœur : Danaé Poussin, une femme-courage qui tour à tour souffrira et triomphera de ces forces que l’on appelle fatalité. Et si La petite sirène avait été écrite dans la langue antédiluvienne des pêcheurs de Pour la suite du monde, par une écrivaine à l’érudition aussi vaste que l’océan ?

Dominic Tardif, La Presse

Les marins ne savent pas nager

Les marins ne savent pas nager

La Peuplade

728 pages

Mélasse de fantaisie, Francis Ouellette

En plongeant dans ses souvenirs d’enfance du Faubourg à m’lasse et en faisant revivre quelques-uns de ses personnages fameux – dont le robineux Frigo, qui apparaît sur la couverture –, Francis Ouellette a écrit un premier roman tout simplement renversant, bouleversant même, porté par un souffle quasi épique, et une langue virevoltante, imagée, orale. Difficile de lâcher Mélasse de fantaisie – en lice pour le Prix littéraire des collégiens – une fois qu’on y plonge. Mon coup de cœur de l’année !

Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Mélasse de fantaisie

Mélasse de fantaisie

La Mèche

224 pages

Hors-sol, Philippe Yong

Le premier livre de Philippe Yong parle en apparence d’agronomie, mais en réalité de langage. Ou, plus précisément, de la possibilité même de transformer le monde, sans que ses efforts soient usurpés par la langue intéressée de la communication et de la technobureaucratie. On aura vite compris que si les plantes que fait pousser son personnage principal parviennent, elles, à s’épanouir entre ciel et terre – hors-sol ! –, c’est parce que l’écrivain, lui, interroge ce que l’on sacrifie lorsque l’on refuse l’enracinement. Un roman d’une luxuriante intelligence.

Dominic Tardif, La Presse

Hors-sol

Hors-sol

Mémoire d’encrier

272 pages

Bijou de banlieue, Sara Hébert

L’autofiction la plus magnifiquement impudique de l’année revêt les allures parodiques et rose paparmane d’un de ces guides féminins qui prétend offrir tous les outils afin d’atteindre le bonheur en quelques étapes faciles. L’ironie ? En puisant dans ses revers amoureux et dans ses détours professionnels, Sara Hébert signe un livre ayant réellement le potentiel d’aider ses lectrices (et ses lecteurs) à mieux vivre (ou, du moins, à se sentir moins seules). Un peu comme si le courrier de Louise Deschâtelets dans Le Journal de Montréal était non plus tenu par Loulou, mais par une affable punk.

Dominic Tardif, La Presse

Bijou de banlieue

Bijou de banlieue

Marchand de feuilles

352 pages

Les pénitences, Alex Viens

Ce premier roman d’Alex Viens, qui s’est frayé un chemin dans la liste préliminaire de la catégorie Roman-Nouvelles-Récit du Prix des libraires, frappe fort et fait mal. Ce huis clos entre une fille et son père prend aux tripes, ausculte les mécanismes d’une enfance brisée, des relations de domination et des plaies qui ne cicatrisent jamais, interrogeant du même souffle la possibilité d’une quelconque rédemption ou d’un pardon. Avec son écriture oscillant habilement entre violence brute et émouvante fragilité, Alex Viens offre un récit oppressant, dur, mais aussi cathartique.

Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Les pénitences

Les pénitences

Le Cheval d’août

144 pages