L’année 2022 a été faste en bandes dessinées de qualité, tant à l’international que sur la scène québécoise. En voici dix qui ont ravi nos journalistes.

Superbe BD d’atmosphère

Harlem s’articule autour de la figure de Stéphanie St. Clair, femme gangster d’origine antillaise qui a dominé ce quartier situé au nord de Central Park, à New York, au début du XXe siècle. La BD s’attarde à ce qui grouille autour d’elle : pauvreté, magouilles, luttes de gangs, scène jazz, corruption policière et la loterie qui fera sa fortune. Mikaël mène son récit en restant proche des personnages, qu’il fait vivre dans des compositions visuelles magnifiques, inspirées par les peintres de l’Ashcan School, créant des pages vaporeuses où la matière, la saleté et les bruits de la rue sont superbement évoqués. On attend la suite.

Alexandre Vigneault, La Presse

Harlem, t. 1

Harlem, t. 1

Dargaud

64 pages

Une BD tricotée avec les fils du cœur

Catherine Ocelot, bédéiste québécoise à la sensibilité exacerbée, nous a donné en début d’année le magnifique album Symptômes. Elle y explore avec beaucoup de tendresse les liens invisibles qui nous relient les uns aux autres, mais aussi l’impact que ces mêmes liens peuvent avoir sur notre corps. Avec ses traits délicats, Catherine Ocelot nous présente sous forme de tableaux le destin de cinq femmes membres du groupe Solitude anonyme. Les métaphores du corps fascinent la bédéiste. Son travail nous a fascinée tout autant.

Stéphanie Morin, La Presse

Symptômes

Symptômes

Pow Pow

280 pages

Vivre caché

Plus de 15 ans après Gomorra, enquête romanesque dans laquelle il fait le portrait de la mafia napolitaine, Roberto Saviano vit toujours caché, sous protection policière. Je suis toujours vivant fait la chronique de cette vie à côté de la vie, coupé des siens, sans cette liberté de mouvement que tout le monde tient pour acquise. C’est le récit d’un homme opiniâtre et brisé, mais encore capable d’autodérision. Le dessinateur israélien Asaf Hanuka transpose avec une touche de poésie éloquente ce récit cruel, mais aussi ce qui fait encore rêver l’écrivain condamné à l’ombre.

Alexandre Vigneault, La Presse

Je suis toujours vivant

Je suis toujours vivant

Gallimard

144 pages

Une mule pour contrer l’autodafé

La bibliomule de Cordoue, BD superbement écrite par Wilfrid Lupano et illustrée avec beaucoup de vivacité par Léonard Chemineau, s’attarde sur un évènement peu connu, mais bien réel de l’histoire : l’autodafé de Cordoue, perpétré en 976. Les auteurs ont imaginé ici un quatuor dépareillé qui tente de sauver du bûcher autant de titres que possible : un bibliothécaire eunuque, une esclave, un voleur de grand chemin et une mule entêtée, chargée d’une montagne de livres ! Un album rempli d’humour, de tendresse et de sagesse, qui ravit la tête et le cœur.

Stéphanie Morin, La Presse

La bibliomule de Cordoue

La bibliomule de Cordoue

Dargaud

264 pages

Histoires de résistance

Avec Les reflets du monde : en lutte, Fabien Toulmé revient à son rôle de documentariste social et met l’accent sur les combats politiques et sociaux menés par des communautés du Liban, du Brésil et du Bénin. Moins journalistique que celle de l’Américain Joe Sacco (Palestine, Gaza 1956, etc.), l’approche de Fabien Toulmé est plus personnelle : il se met en scène tentant de comprendre les enjeux pour mieux les raconter. Ses sujets sont durs, mais il y a toujours quelque chose de sympathique et de léger dans le ton et le trait du bédéiste français, qui ne s’approprie jamais les luttes des autres, mais pose sur elles un regard plein d’empathie.

Alexandre Vigneault, La Presse

Les reflets du monde : en lutte

Les reflets du monde : en lutte

Delcourt

336 pages

Une famille en deuil

Jean-Louis Tripp (Magasin général) signe une BD au mouvement soigné qui traduit avec acuité l’état cotonneux dans lequel on se retrouve lorsqu’on est frappé par un deuil et la culpabilité qu’il a ressentie lorsque Gilles, son « petit frère », a été happé par un chauffard à l’été 1976. La tragédie est l’occasion pour lui de creuser les réactions de sa mère, de son père, de son frère et de sa sœur à cette mort subite, en partie enfouie dans le silence. Le petit frère avance d’un rythme lent et dans une liberté qui permet au dessinateur d’éclater la forme pour révéler son monde intérieur.

Alexandre Vigneault, La Presse

Le petit frère

Le petit frère

Casterman

350 pages

Chroniques d’un quartier en mutation

Rien ne va plus dans la vie de Sam, poteux invétéré qui peine à payer son loyer. Une ex plus ou moins oubliée a débarqué et son immeuble est menacé de démolition en raison de l’embourgeoisement qui guette le quartier populaire de Utown. Avec sa galerie de personnages marginaux attachants, la bédéiste montréalaise Cab offre ici une lettre d’amour aux quartiers mal-aimés de nos cités et à ceux qui les transforment en véritables communautés. Une histoire touffue et touchante, portée par un dessin en noir et blanc ouvertement inspiré des mangas.

Stéphanie Morin, La Presse

Utown

Utown

Nouvelle adresse

228 pages

Paul « psychanalysé »

Ce n’est pas une BD proprement dite, mais des entretiens avec Michel Rabagliati menés par le bédéphile Michel Giguère. En plus d’être sympathique, cette plongée dans l’art de la bande dessinée — et de ce bédéiste célébré – s’avère éclairante pour le lecteur qui a envie de comprendre la mécanique narrative, visuelle et émotive du 9e art. Les deux Michel, qui se connaissent et s’apprécient visiblement, trouvent le ton juste pour faire de Paul : entretiens et commentaires un livre savant… savamment décontracté. L’ouvrage conçu par La Pastèque est bien sûr abondamment illustré.

Alexandre Vigneault, La Presse

Paul : entretiens et commentaires

Paul : entretiens et commentaires

La Pastèque

302 pages

La résistance au féminin

Madeleine Riffaud n’avait que 18 ans lorsqu’elle a rejoint la Résistance française en 1942. Cette femme au caractère d’acier reste l’un des derniers témoins toujours vivants ayant connu la Résistance de l’intérieur. Sa vie extraordinaire, parsemée d’exploits et d’embûches, serait passée sous silence sans le travail du bédéiste Jean David Morvan, qui a recueilli ses propos pour la création du triptyque Madeleine, Résistante. Le résultat est bouleversant : un témoignage à la première personne d’une femme éprise de liberté, magnifiquement illustré par Bertail. Une série documentaire bardée de prix, dont le deuxième tome est prévu pour 2023.

Stéphanie Morin, La Presse

Madeleine, Résistante. Tome 1 : La rose dégoupillée

Madeleine, Résistante. Tome 1 : La rose dégoupillée

Aire Libre

128 pages

Quête initiatique

Depuis des années, Amédée boit comme du petit-lait les récits fantastiques de son grand voyageur de voisin, Joseph. Quand ce dernier passe l’arme à gauche, Amédée, notaire à la retraite, va quitter ses pantoufles pour tenter de remonter le fil de l’existence de son mystérieux voisin. Un voyage qui le mènera à d’étonnantes découvertes, notamment sur lui-même. Tananarive est un album réjouissant, d’une grande humanité, qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière case. Parfait pour chasser la morosité.

Stéphanie Morin, La Presse

Tananarive

Tananarive

Glénat

116 pages