Dans son roman Après la pluie, l’écrivaine italienne Chiara Mezzalama nous entraîne dans la crise existentielle d’une femme qui quitte Rome et sa famille pour sa maison de campagne en Ombrie, le temps de se retrouver. Nous l’avons rencontrée lors de son passage au Salon du livre.

Vous êtes romancière, vous écrivez aussi pour les enfants, en plus d’être traductrice et psychothérapeute. Comment cette profession a-t-elle influencé l’écriture de ce roman ?

« Je pense que ce qui m’a aidée, c’est le regard qu’on porte sur les choses en travaillant en tant que psychothérapeute. Même si aujourd’hui je n’ai plus de patients, j’ai été formée à observer les choses avec beaucoup d’attention, et surtout à entrer en relation profonde avec les autres. Et quand on construit un personnage, c’est un peu ça qu’on fait. »

Comment s’est opéré ce passage vers l’écriture ?

« J’ai beaucoup voyagé dans ma jeunesse – mon père était diplomate –, donc j’ai souvent été un peu dépaysée. […] Lire et écrire, c’était une manière de rester en contact avec mes racines et de me retrouver. Mais je ne me voyais pas, à 17, 18 ans, décider d’être écrivaine… Je n’avais pas ce genre de courage. Donc j’ai fait des études, j’ai travaillé pendant 15 ans comme psychothérapeute ; à un moment, j’étais un peu frustrée parce que j’avais envie d’écrire, mais j’avais beaucoup de travail, des enfants… Je n’arrivais plus à gérer tout ça. C’était très clair pour moi que la littérature, c’est quelque chose d’un peu fragile et en même temps très fort, et j’ai eu ce sentiment que si je laissais tomber, je l’aurais perdue. C’est pour ça que je suis partie à Paris ; j’avais vraiment besoin de changer de vie et, du coup, la littérature a pris toute la place. »

Le personnage principal, Elena, sent son corps vidé d’avoir fait face à « cette mission épuisante qui consiste à rester femme tout en étant mère ». Son amie lui dit : « Tu portes le poids de toutes les femmes restées pendant des siècles sous la coupe de leur mari. » Elena est-elle représentative des femmes de sa génération ?

« On peut faire des choix très différents […], mais on porte quand même cette tradition quelque part – partout dans le monde, je pense, à différents degrés d’émancipation. J’ai été éduquée de manière tout à fait libre, mais au moment où je suis devenue mère, j’ai compris pourquoi il faut être féministe, alors qu’avant, je ne me posais même pas la question – je ne me sentais pas différente de mon frère. Les enfants, ça crée un clivage, et c’est comme ça que j’ai commencé à réfléchir. Le personnage d’Elena arrive à le comprendre, mais pour le faire, il faut déchirer quelque chose et c’est aussi ça que je voulais raconter. Les choses ne se font pas toutes seules ; il y a un moment où les femmes doivent casser un code. Sinon, on se laisse emporter sans même s’en rendre compte et puis un jour, on se dit : est-ce que c’est vraiment la vie dont j’ai envie ? En même temps, je pense qu’être mère, c’est une aventure incroyable, je n’aurais pas voulu y renoncer parce que c’est une richesse. […] Mais est-ce qu’on peut quand même à la fois faire ce dont on a envie et ménager tout ça ? Ce n’est pas toujours très facile. »

Elena se demande d’ailleurs ce qu’est une famille normale… Comment ce modèle où elle ne se reconnaît plus peut-il encore fonctionner ?

« Ça ne fonctionne pas pour moi, c’est évident. C’est clair que la famille, comme on l’entend de manière traditionnelle, c’est une institution très bourgeoise et patriarcale qui a des limites parce qu’elle enferme les personnes dans des rôles. Même pour les hommes, le patriarcat est un carcan. Donc il faut essayer d’imaginer autre chose et c’est une expérience que j’ai faite en allant à Paris. Je suis partie toute seule avec mes enfants et c’était clair que pour m’en sortir, il fallait que je reconstruise une forme de famille alternative. »

Il est beaucoup question dans le roman des changements climatiques et du conflit générationnel qui oppose le mari d’Elena à leur fille, qui dit à son père qu’il appartient à « une génération de ratés et de lâches ». Quelle est cette inventivité évoquée dans le roman « qu’il faudrait déployer pour continuer à vivre sur une planète en ruine » ?

« Tout est relié, en fait. Pour moi, la crise de la famille traditionnelle, c’est aussi la crise de notre système, de notre rapport au vivant et à la nature, des relations que nous avons les uns avec les autres […] J’ai 50 ans, donc j’appartiens encore à quelque chose qui est du monde d’avant, alors que mes enfants savent que ça se passe très mal et qu’il faudra trouver autre chose. Ils sont un peu angoissés, mais peut-être un peu plus libres de pouvoir imaginer autre chose. Je pense qu’il faut vraiment laisser de la place aux jeunes générations ; ce sont elles qui vont avoir d’autres solutions. […] Et je pense que la littérature et l’art en général ont cette fonction d’imaginer les choses autrement, d’imaginer d’autres possibles. »

Chiara Mezzalama participera au Cabaret des langues, vendredi soir à l’Agora (19 h 15), en plus de faire partie des invités de Catherine Perrin à l’émission Feu vert qui sera diffusée dimanche à 15 h en direct du Studio Radio-Canada au Salon. En séance de dédicaces vendredi (17 h 45) et samedi (11 h), au kiosque 901.

Consultez les évènements impliquant l’autrice au Salon
Après la pluie

Après la pluie

Mercure de France

240 pages