Qu’est-ce qui fait la force d’un roman policier et le distingue d’un autre, si ce ne sont pas ses personnages ? Au-delà d’une intrigue crédible et bien menée, les polars dont on se souvient sont ceux qui donnent naissance à des enquêteurs dont le mythe finit par dépasser l’œuvre, à l’image d’un Kurt Wallander ou d’un Harry Bosch.

Les personnages de l’Ontarien Scott Thornley incarnent cette nouvelle génération de policiers qui n’ont rien des durs à cuire d’une époque. Des enquêteurs qui n’éprouvent aucune gêne à exprimer leurs sentiments ou à manifester leur répugnance à la vue d’un cadavre. Qui ont compris qu’ils sont avant tout des êtres humains avant d’être des flics. Et c’est peut-être ça, justement, qui fait de l’inspecteur Iain MacNeice et de sa partenaire, Fiza Aziz, des personnages foncièrement attachants qu’on a envie de retrouver.

Veuf, MacNeice agit avec la droiture que l’on imagine chez ces enquêteurs habités d’une véritable vocation, bien qu’il soit miné par un incommensurable chagrin depuis la disparition de sa femme. C’est un policier sensible et réfléchi, de l’aveu même de sa partenaire, et tous deux partagent le même sens du devoir imperturbable – malgré les doutes qui les assaillent devant l’horreur et les risques du métier. « Il faut continuer à marcher, tout simplement. C’est sinistre, aucun doute, mais c’est essentiel », dira MacNeice lorsque sa coéquipière lui demandera pourquoi ils font un tel travail.

Si on embarque aussi vite dans ce troisième titre en français, c’est sans doute parce qu’on a immédiatement le sentiment de renouer avec de vieilles connaissances – qu’on ait lu ou non les romans précédents (Mémoire brûlée et De chrome et de sang, traduits l’an dernier). Jusqu’à la moelle nous transporte à nouveau dans la ville fictive de Dundurn, aux abords du lac Ontario. Au cours d’un mois de mars particulièrement pluvieux, le corps d’une femme est retrouvé dans la baie de Cootes Paradise ; les policiers ont à peine le temps d’ouvrir leur enquête pour identifier la victime qu’il y a un deuxième mort dans un parc, nous entraînant dans les fils enchevêtrés de deux histoires distinctes et tout aussi prenantes.

Ce qui fait également la particularité du roman, c’est que non seulement on est tout près de chez nous, en territoire familier, mais le traducteur a judicieusement choisi de québéciser les dialogues – sacres inclus –, accentuant d’autant plus cet effet de proximité.

Assurément divertissant, Jusqu’à la moelle inscrit définitivement l’inspecteur MacNeice parmi les personnages à suivre dans le polar. Et ceux qui ont aimé le célèbre personnage de Giles Blunt, John Cardinal, prendront certainement plaisir à retrouver ce même flegme typiquement anglo-saxon. À quand la série télé inspirée des romans ?

Jusqu’à la moelle

Jusqu’à la moelle

Boréal

408 pages

8/10