« Vendredi j’ai repoussé le matin / tellement fort, on a vu l’os plusieurs fois », écrit Frédéric Dumont dans Chambre minimum, un récit lancinant, et généreux en extraordinaires images insolites, de ce supplice de la goutte communément appelé le quotidien.

Portrait d’une résistance passive aux petits assauts répétitifs de l’éternel recommencement de tout, ce quatrième recueil fait entendre la voix de quelqu’un devant encaisser une « tragédie conforme aux attentes » après l’autre. Ce n’est jamais rien de très grave – « plusieurs manteaux de poussière / recouvrent mes notes » –, mais c’est chaque fois la fin du monde.

Celui qui parle à travers ces vers nourrit pourtant des ambitions raisonnables (« aujourd’hui j’avais juste le goût / d’aller prendre / des patates en photo »), mais habite par malheur une époque où les mots ne veulent plus rien dire, où il est impossible d’aimer sans anxiété, où le bonheur est un masque qu’il faut enfiler afin de ne pas décevoir les autres.

Mais plutôt que de railler l’assommante redondance des jours en calquant son langage essoufflé, Frédéric Dumont subvertit subrepticement le banal (« je rêve que le mot lumière / soit autre chose / qu’une métaphore rampante »), en lui injectant une formidable dose d’étrangeté. Chaque fois que la petite musique de ses pages menace d’induire une forme d’hypnose, une image improbable surgit de nulle part et chasse notre torpeur : « j’écoute du Debussy / pendant qu’un gars / portant un masque mauve / fait un test d’amiante / dans mon garde-robe ».

Réplique magnifiquement absurde à la tyrannie du positivisme, Chambre minimum congédie le désespoir grâce à une série de grimaces insoumises, sans que Frédéric Dumont n’arrive jamais à complètement camoufler la perspicacité inédite et la dingue originalité de son regard sur cette vie qui donne trop souvent envie de ne plus jamais sortir de chez soi.

Chambre minimum

Chambre minimum

Les Herbes rouges

152 pages

8/10