(Bourges) Visions hallucinées et rythme hypnotique : l’écrivain Michel Houellebecq déclame ses poèmes sur fond d’électro dans un palais médiéval, spectacle-ovni dont le Printemps de Bourges a le secret.

Deux ambiances en ce début d’après-midi du deuxième jour du festival de musiques actuelles. Dans la ville basse, Juliette Armanet répète un de ses succès, Le dernier jour du disco, en vue du spectacle du soir sous le grand chapiteau.

À 15 minutes à pied dans la vieille ville, l’auteur des Particules élémentaires attend, assis, de profil, sur une petite estrade, que son public s’installe.

Quelque 120 personnes ont répondu présentes dans la salle des festins du Palais Jacques Cœur, édifice du XVe siècle. L’écrivain, probablement le plus influent de sa génération, entouré de trois comparses-narrateurs, patiente un bon quart d’heure, tandis que l’électro du DJ et producteur Traumer s’intensifie.

Puis ses complices commencent à tour de rôle à réciter les poèmes. Les spectateurs, dans la pénombre, attendent religieusement le moment où Houellebecq approche enfin le micro de ses lèvres, toujours assis.

Il se lance, de sa voix étouffée et monocorde : « Mon existence est dans tes mains/Je ne suis pas vraiment humain/Je voudrais une existence trouble/Une existence comme un étang » (extrait de Montre-toi, mon ami, mon double).

« Lue par le maître »

PHOTO GUILLAUME SOUVANT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Ses postures délicieusement gauches sont là, comme quand il rentre un peu sa tête dans ses épaules de guingois ou pose l’index sur sa lèvre inférieure.

La mise en scène est minimaliste. Au cours du spectacle d’une grosse heure, le romancier se lèvera, devant la cheminée monumentale, pour se rapprocher d’un micro à pied et délivrer ses textes quand vient son tour.

Ses postures délicieusement gauches sont là, comme quand il rentre un peu sa tête dans ses épaules de guingois ou pose l’index sur sa lèvre inférieure.

Pour les textes, on est chez lui, entre errance morbide, décrépitude du couple ou secteur tertiaire saumâtre.

La musique passe d’une électro planante à des rythmes plus martiaux pour figurer le mouvement d’un train (poème « le TGV Atlantique glissait dans la nuit avec une efficacité terrifiante »).

L’architecte du son Traumer, à l’arrière de la salle, déroule sa bande-son, ponctuant les strophes par des cordes mélancoliques ou des cuivres inquiétants.

Le spectacle a ses fans. « Je suis très émue, très touchée, sa poésie, ce sont mes livres de chevet, et là, lue par le maître lui-même, c’est assez extraordinaire », confie à l’AFP Anne-Laure, 51 ans, habitante de la région.

D’autres sont plus dubitatifs. « C’était intéressant, bien dans l’ensemble, mais les effets musicaux sont assez répétitifs », commente Xavier, 25 ans, venus avec des amis de Paris.

L’auteur de La possibilité d’une île s’était déjà produit en 2000 à Bourges avec Bertrand Burgalat (artiste/producteur réputé) et ses musiciens, dans le prolongement d’une tournée des plages forcément décalée.

« Assez liturgique »

PHOTO GUILLAUME SOUVANT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Au cours du spectacle d’une grosse heure, le romancier se lèvera, devant la cheminée monumentale, pour se rapprocher d’un micro à pied et délivrer ses textes quand vient son tour.

Cette fois, tout est parti d’un jeune admirateur, Victorien Bornéat, devenu créateur et co-metteur en scène du spectacle. En 2019, ce dernier crée un podcast, demandant à ses « amis de choisir un poème de Houellebecq » avant de les enregistrer.

« C’était un petit truc dans ma chambre qui n’avait pas vocation à avoir écho en dehors de mon cercle amical », expose-t-il à l’AFP. Puis vient l’idée de « faire des lectures publiques en boîte de nuit, lieu qui fait écho à l’œuvre de Houellebecq, comme Extension du domaine de la lutte ».

Quand il en parle à l’écrivain pour des questions de droits, « la discussion s’enclenche et là, il dit qu’il a envie de remonter sur scène ».

Une première mouture du spectacle est donc présentée l’hiver dernier au Rex Club à Paris. « Beaucoup de gens nous ont dit au Rex Club que c’était assez liturgique, on a essayé d’appuyer encore cette dimension pour la salle des festins du Palais Jacques Cœur et son architecture du XVe », ajoute le créateur.

« Ce qui est intéressant dans le travail avec Houellebecq, c’est sa manière d’inviter à lire ses poèmes : il n’aime pas que ce soit dit avec beaucoup d’emphase », dit-il.