Voilà une œuvre qui, même si elle vient dans un coffret, peut difficilement être rangée dans une case. À la croisée des arts littéraires, visuels et divinatoires, Clairvoyantes brasse les cartes et redéfinit le livre.

« C’est plus difficile à expliquer qu’à comprendre quand on le voit ! », lance l’autrice à l’origine du projet, Audrée Wilhelmy, rencontrée lors de l’évènement médiatique de prélancement de Clairvoyantes, en mars.

En raison de son caractère unique, il est vrai que cet « oracle littéraire » peut être difficile à cerner. Est-ce un tarot, un recueil de nouvelles, un superbe objet photographique ? Un peu de tout ça à la fois, sans être tout à fait « ça ».

Résumons : Clairvoyantes se présente sous la forme d’un élégant boîtier. À l’intérieur, 45 cartes et un livret divisé en 3 sections : Figures, Lieux, Objets. Chaque carte trouve son écho dans un court texte (et son interprétation).

Pour « jouer » à Clairvoyantes, on tire, un peu à la façon d’un jeu de tarot, trois cartes. Puis libre à chacun d’interpréter la levée en se référant aux textes correspondants. Tout simplement.

Autant pour les cartes que les textes, l’idée était qu’il y ait plus d’une interprétation possible. Avec les trois cartes, une histoire se construit ; il y a une progression narrative, une figure qui entre dans un lieu et qui y rencontre un objet. Mais l’histoire, elle peut être changée chaque fois.

Audrée Wilhelmy, créatrice de Clairvoyantes – Un oracle littéraire

« Il y a beaucoup de façons de jouer avec cet objet », résume Audrée Wilhelmy.

Jeu littéraire

Connue pour ses œuvres comme Les Sangs, Le Corps des bêtes ou Blanc Résine, la romancière a toujours été intéressée par les oracles, les jeux de tarot. « J’en ai beaucoup dessiné, enfant, et j’ai toujours voulu m’en faire un, inventer mes personnages », confie-t-elle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Clairvoyantes – Un oracle littéraire, quand la littérature se joue.

Il y a cinq ans, alors qu’elle se trouvait à la Foire du livre de Francfort, elle a passé beaucoup de temps avec Antoine Tanguay, fondateur et président des éditions Alto. Un soir, autour d’une bière, elle lui a confié l’idée qui lui trottait dans la tête depuis un moment : créer un tarot littéraire qui rassemblerait des autrices québécoises.

Deux ans plus tard, voilà que ce dernier revient vers elle, prêt à se lancer dans l’aventure. « Il y avait une demande de subvention pour un programme court pour développer des idées. La demande était à remettre la semaine suivante. Donc il fallait le faire… maintenant ! »

Cela n’a pas découragé la créatrice qui, en plus de manier magnifiquement la plume, pratique la photographie, le dessin, la linogravure et l’impression artisanale. Rapidement, la photographe Justine Latour s’est jointe au projet. Ensemble, elles ont imaginé quelle forme pourrait prendre cet oracle littéraire unique en son genre.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Justine Latour et Audrée Wilhelmy

Les textes ont été rédigés par 15 autrices québécoises, sous la direction d’Audrée Wilhelmy. Chacune devait plonger dans son imaginaire pour évoquer en mots une figure, un lieu et un objet. Perrine Leblanc, Hélène Dorion, Dominique Fortier, Élise Turcotte, Catherine Leroux, Christiane Vadnais, entre autres, figurent parmi les plumes qu’on peut y lire.

J’ai convié 15 femmes, 15 voix de femmes très fortes, et je voulais qu’on puisse les reconnaître. Quelqu’un qui connaît la littérature pourra deviner quelle carte va avec qui ; les jeunes qui ne sont pas encore familiers avec notre littérature pourront y découvrir un bel échantillonnage de plusieurs voix de la littérature contemporaine, de femmes au Québec qui font de la fiction.

Audrée Wilhelmy

En effet, dans le livret, les textes ne sont pas signés — un sommaire à la toute fin, « à regarder dans le miroir », permet d’associer les cartes à leurs autrices. Ce qui en fait, souligne-t-elle, un projet vraiment collectif.

Pour les images des 45 cartes, Justine Latour a eu carte blanche pour créer des scènes évocatrices, ouvertes à plusieurs interprétations. Un processus autant vertigineux qu’agréable, dit-elle, où elle a pu laisser libre cours à sa créativité. Le résultat est très pictural, onirique, mystérieux et, surtout, magnifique.

Elle a travaillé en étroite collaboration avec la directrice artistique Yona van Leeuwenkamp, qui a apporté son côté plus « lumineux, pop, pastel, rose bonbon » à l’esthétique plutôt « clair-obscur » de la photographe connue pour ses portraits d’artistes. « J’avais les idées, le concept, des références à l’histoire de l’art, à Disney, à la culture pop. Yona a apporté un côté plus funky, ses textures, ses envies colorées. C’est une magicienne du détail. »

Fièrement imprimé au Québec

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Clairvoyantes – Un oracle littéraire a été imaginé et imprimé au Québec.

Chez Alto, tout est imprimé au Québec. « Ça fait partie de nos valeurs », explique Antoine Tanguay. Ce qui fut tout un défi pour ce projet, car les imprimeurs de livres n’impriment pas de cartes.

Systématiquement, les gens vont aller en Chine ou aux États-Unis, mais on ne voulait pas. On a fait le tour et on a finalement trouvé des gens qui impriment des cartes de hockey !

Antoine Tanguay, fondateur et président des éditions Alto

L’entreprise de Pointe-Claire, Cardston, s’est donc occupée de l’impression des cartes, alors que l’imprimeur Chez Marquis a réalisé l’impression sur du papier écologique naturel et du carton que l’éditeur a réussi à obtenir en importation privée. Le tout, dans un contexte où il y a une pénurie mondiale de papier.

« Oui, c’est un projet risqué, plus coûteux aussi qu’un livre, mais on a voulu que le coffret demeure très abordable. On roule à 140 km/h dans le noir, les lumières fermées ! », image M. Tanguay. Un volet numérique gratuit s’ajoute à l’ensemble, et une expérience interactive voyagera dans plusieurs lieux et évènements, comme des salons du livre.

Clairvoyantes est bel et bien un objet littéraire aux yeux de l’éditeur. Il s’est d’ailleurs assuré que le coffret se retrouverait dans le rayon de la littérature, plutôt que celui de l’ésotérisme ou des jeux. « La forme elle-même ne va pas déterminer si c’est narratif ou pas. Ensuite, à voir comment les gens vont se l’approprier ou jouer avec. »

Finalement, ce projet unique en son genre permet de rebrasser une vision parfois fermée de ce que peut être la littérature. « Il y a tellement d’actions différentes qui peuvent être prises avec ce jeu-là… J’aime ça que la littérature soit tout ça ! », conclut Audrée Wilhelmy.

Clairvoyantes – Un oracle littéraire

Clairvoyantes – Un oracle littéraire

Alto

104 pages et 45 cartes