Perd-on son essence en donnant la vie ? Est-ce que les femmes diluent leurs capacités intellectuelles dans les tâches quotidiennes liées aux enfants ? Si en lisant ces questions vous avez l’impression d’être dans un livre d’Elena Ferrante, c’est normal. C’est que l’autrice française Julia Kerninon vient alimenter à sa manière ces interrogations qui habitent de nombreuses femmes dans le remuant Toucher la terre ferme, prolongeant sa réflexion existentielle sur le rapport à la maternité amorcée dans son roman Liv Maria, mais de manière plus frontale puisqu’elle en est cette fois elle-même le sujet d’observation.

Mais à l’opposé du fatalisme de l’écrivaine italienne qui met souvent en scène des mères en fuite, Julia Kerninon estime, à l’instar d’une Anaïs Barbeau-Lavalette, que la maternité n’empêche pas la cohabitation de toutes ses identités qui se superposent, et qu’en leur centre, les mères gardent leur identité et leur noyau dur intact, là où se retrouvent toutes leurs vies et toutes leurs histoires.

Elle le démontre dans ce récit court et dense qui s’amorce sur la naissance de son premier enfant – « J’ai pensé que tout s’arrêtait là, alors qu’au contraire, tout commençait » -, et sa décision de ne pas s’enfuir ce jour-là. Mais c’est après la naissance du deuxième qu’elle a « cessé de vagabonder », et ce vagabondage amoureux et professionnel, qu’elle raconte dans ce livre cru et honnête, fait aussi partie d’elle.

Pour Julia Kerninon ces deux facettes ne sont donc pas opposées et même si sa vie « après » n’a plus jamais été pareille, l’essentiel, l’écriture, a été préservé, tout comme l’exigence intellectuelle. « Tous les jours, j’aime mes enfants, je travaille, et j’essaie d’être un meilleur écrivain. Ma vie n’est ni derrière ni devant moi, je suis une femme adulte, et il est temps d’écrire une prose dense et sérieuse comme du lierre. »

C’est en quelque sorte la conclusion de cet essai intime à l’écho très large. Et Julia Kerninon, avec toute son intelligence, mais aussi avec tout son amour, offre un regard profond et poétique, positif et lucide, sur la maternité dans ce qu’elle a de plus confrontant… mais aussi de plus beau.

Toucher la terre ferme

Toucher la terre ferme

Annika Parance Éditeur

96 pages

7/10