En trois recueils, Élise Turcotte a vu (Ce qu’elle voit), vécu (La forme du jour) et vaincu (À mon retour). Ce premier livre de poésie depuis 2016 propose une forme et un contenu luxuriants, présents dans les recueils ci-mentionnés, mais aussi dans ses romans, que l’on pense à L’apparition du chevreuil ou au Parfum de la tubéreuse.

Parler de « victoire » à propos de la démarche de la poète pourrait occulter les luttes qui la traversent. Toute l’œuvre d’Élise Turcotte relève, en effet, d’une conscience qui avance en dépit de la mort avec ce que cela suppose de fragilité et de désenchantement. Elle a donc pris le temps nécessaire pour livrer ce recueil antibrouillard, premier accomplissement en soi.

Comme le montre la superbe couverture, une œuvre – Eyes Seeker – de la muraliste québécoise Danaé Brissonnet, tous les sens s’agitent dans ce livre d’univers organiques et complexes où l’autrice résiste à la nostalgie et conçoit l'avenir « beau comme un animal menacé ».

La poète est une enfant sauvage qui se rappelle avoir quitté le « nulle part » des hôtels et des aéroports afin de mieux voir le vent et écouter les arbres.

Élise Turcotte continue d’écrire avec ses morts, ici Joe Brainard, artiste visuel et auteur new-yorkais d’I Remember, mort à l’âge de 52 ans en 1994 – artiste de la mémoire s’il en est. Avec lui, la poète québécoise se souvient des choses qui sont tombées, mais aussi de celles qui restent debout. Elle rêve à demain en apprenant la langue des semis en compagnie de bêtes douées.

La poète n’écrit pas sur une autre planète pour autant. Elle a vu les enfants en cage, les fusillades et la maladie actuelle qu’il n’est plus nécessaire de nommer puisqu’elle « nous consume sans le moindre feu ». Le quotidien trouve sa place dans ses poèmes, mais petit, comme il se doit, servant surtout de tremplin pour outrepasser la peur.

Les images fortes et surprenantes construisent une prière aux enfants, la place du rire contre un monde perdu, la flore et la faune plus fortes que les effondrements. Ce recueil respire le travail méticuleux, la recherche du mot juste, la confiance en la poésie, cette « langue du ciel ». Envers et contre tout : l’effritement, la perte, la déchéance.

Devant ce trop-plein, la poète lève les yeux et voit l’arbre, sa verticalité, sa sagesse, sa raison d’être. Elle est de retour ; la révolte continue.

À mon retour

À mon retour

Noroît

112 pages

8/10