On l’oublie parfois, mais Ken Follett a écrit d’autres livres que des romans historiques. Certes, son plus grand succès est Les piliers de la Terre, paru en 1989. Et depuis 2007, il a conclu cette série du Moyen Âge et a publié une autre trilogie historique, Le siècle.

Son plus récent roman, Pour rien au monde, reprend le Follett d’avant ces deux grandes fresques historiques. Il s’agit d’un hybride, un roman à suspense doublé d’une grande réflexion politico-stratégique avec des espions, des trafiquants de drogue, des soldats, des missiles et des porte-avions. L’exotisme qu’offrait le romancier britannique dans ses descriptions minutieuses des motivations et des actions des personnages secondaires se transporte du temporel à la géographie.

Le résultat, très léché et fouillé, est plus classique que les romans historiques auxquels il nous a habitués depuis plus de 15 ans. On pense cette fois-ci à un mélange de Michael Crichton, de Tom Clancy et de Dan Brown.

Dans une série d’entrevues et dans la préface, Follett explique qu’il a été frappé d’apprendre de quelle manière les chefs d’État européens avaient glissé vers la guerre en 1914 sans vraiment le vouloir. Il s’est demandé de quelle manière une série d’erreurs similaires pourrait se produire de nos jours.

L’action tourne alors autour d’une présidente américaine républicaine, d’un espion chinois haut placé et de trois espions américains et français en Afrique qui sont aux trousses de djihadistes trafiquants de drogue et d’humains. Une veuve africaine, mère d’un jeune enfant, complète le portrait.

Déjà là, on a un carrousel un peu moins garni que dans les romans historiques auxquels il a habitué la plupart de ses lecteurs. Et les détails des vies des personnages sont moins dépaysants, peut-être parce qu’on est moins à l’aise de nos jours, ou plus exigeants, avec un romancier qui embrasse une culture autre que la sienne.

Certaines descriptions frisent l’essentialisme, ce qui sera rafraîchissant pour certains et intolérable pour d’autres. La jeune veuve africaine veut faire baisser le prix d’un voyage clandestin vers l’Europe et dit au trafiquant de migrants que son beau-frère s’attendait à payer moins. Le trafiquant regimbe et dit à la jeune mère que le beau-frère peut organiser le voyage lui-même. Elle lui répond qu’étant veuve, elle doit obéissance à ce beau-frère. Le trafiquant est amadoué par cette docilité face au paternalisme local.

Un autre aspect du livre qui est surprenant est le parti pris pro-occidental de Follett. Peut-être parce qu’on s’imagine qu’un écrivain historique partage les partis pris « progressistes » souvent adoptés par les historiens, on cherche en vain toute trace d’ironie ou d’empathie quand les espions occidentaux qualifient de simples bandits hypocrites les djihadistes du Sahel, quand la présidente américaine explique qu’il lui faut répliquer par les armes dès qu’une autre nation tue délibérément un Américain alors qu’elle peut passer outre au massacre de dizaines de milliers de non-Américains, ou quand les dirigeants chinois ramènent le « siècle d’humiliation » qu’a connu la Chine entre 1860 et 1947 au moindre soupçon de manque de respect par une nation occidentale.

Pékin et l’Afrique

La meilleure partie du livre se passe à Pékin. Le héros chinois mène simultanément une dizaine de parties d’échecs avec des contacts américain et nord-coréen, avec sa femme étoile du cinéma, avec son père officier de haut rang paranoïaque et avec ses alliés et ennemis du Politburo, qui échangent parfois de place. L’intrigue africaine, qui, en apparence, est centrale, se révèle finalement plutôt mièvre.

Follett a fait des recherches poussées pour ne pas faire de faux pas, sur le plan tant ethnographique que militaire, et ça paraît au fil des descriptions dans une dizaine de pays. Mais il y a tout de même quelques couacs : une radio joue le succès de K-pop Gangnam Style (un peu daté) et la présidente républicaine a été élue en réaction à son prédécesseur raciste.

En somme, un excellent Follett pour les lecteurs qui l’ont suivi assidûment au fil de ses 25 livres avec des intrigues contemporaines et ont moins aimé ses deux séries historiques. Mais un roman déroutant pour ceux qui n’ont lu que les sept livres de La fresque de Kingsbridge et Le siècle.

Pour rien au monde

Pour rien au monde

Robert Laffont

880 pages

6/10