(Francfort (Allemagne)) Tout le monde ne parle que de littérature canadienne (et québécoise), ces jours-ci à Francfort. En effet, la ville allemande accueille la plus grande foire du livre au monde, où le Canada est l’invité d’honneur. Un beau privilège pour nos auteurs et éditeurs, a constaté La Presse, malgré le format minceur dicté par la pandémie.

La Frankfurter Buchmesse, la Foire du livre de Francfort, surprend par son envergure pour qui y pose les pieds pour la première fois. Pour sa 73e édition, présentée jusqu’à samedi, elle regroupe pas moins de 2000 exposants venus de quelque 80 pays.

Pourtant, cette année, la Foire a attiré beaucoup moins d’éditeurs que d’ordinaire, en raison de la pandémie. « Il y a peut-être 10 % des gens qui sont venus cette année », nous dit François Charette, directeur général de Livres Canada Books. Seuls les représentants d’une quarantaine de maisons d’édition canadiennes et québécoises ont fait le voyage jusqu’à Francfort pour faire la promotion de leurs titres. C’est presque trois fois moins que prévu.

Quant aux auteurs, ils ne sont que neuf sur place alors que les organisateurs prévoyaient en inviter 60 à l’origine. Kim Thúy, Michel Jean, Heather O’Neill et Dany Laferrière sont du nombre.

Lors de la soirée d’ouverture, mardi, Margaret Atwood et Joséphine Bacon étaient aussi présentes, mais sous forme virtuelle. Malheureusement, des problèmes de son n’ont pas permis de savourer toute la verve de ces deux grandes dames. La gouverneure générale canadienne, Mary May Simon, était quant à elle sur place : elle a livré un discours très senti sur son histoire personnelle d’Inuite du Nunavik, mais aussi sur les histoires que chaque humain raconte et celles qu’il laisse derrière à sa mort. Elle n’a pas hésité à évoquer les facettes plus sombres du Canada, notamment les pensionnats réservés aux Autochtones… La foule lui a réservé une ovation sincère à la fin de ce discours émouvant.

PHOTO MARC JACQUEMIN, FOURNIE PAR LA FOIRE DU LIVRE DE FRANCFORT

La soprano inuite Deantha Edmunds est l’une des artistes qui ont présenté un numéro lors de la cérémonie d’ouverture de la Foire.

Le lendemain, lors de la soirée-spectacle organisée par le Canada, la pluralité des voix canadiennes a résonné de nouveau sous l’immense dôme du Festhalle. La soprano inuite Deantha Edmunds est venue chanter en inuktitut, l’artiste multidisciplinaire trans Vivek Shraya a interprété trois chansons. Le danseur Dallas Arcand a fait une danse traditionnelle aux cerceaux. Et les textes de plusieurs auteurs ont été lus en allemand.

Le fruit de neuf années de travail

Caroline Fortin, vice-présidente du Groupe Québec Amérique et présidente du comité organisateur Canada FBM2021, compte parmi les chanceux qui ont fait le voyage. L’évènement revêt une importance particulière pour elle. C’est lors de la foire de Francfort de 1982 que son père Jacques, fondateur de la petite maison d’édition, a eu l’idée de concevoir le célèbre dictionnaire Le visuel. Et c’est à Francfort toujours qu’il a réussi à en vendre les droits dans plusieurs pays, ouvrant la voie à un immense succès commercial, avec plus de 10 millions d’exemplaires vendus à ce jour.

Caroline Fortin n’a donc pas hésité longtemps à porter ce projet sur ses épaules lorsque le grand manitou de la Foire du livre, Juergen Boos, lui a lancé en octobre 2012 une invitation officielle pour faire du Canada l’invité d’honneur. Restait à convaincre Ottawa et les gouvernements provinciaux et territoriaux d’investir les fonds nécessaires pour offrir à la littérature cette vitrine sur le monde.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La patronne de Québec Amérique, Caroline Fortin, dans le cadre du spécial Leur dernière soirée.

Les pays attendent en ligne pour être invités d’honneur. Pour moi, c’était important de partager avec tous les éditeurs du pays les retombées d’un évènement mondial de cette envergure.

Caroline Fortin, vice-présidente du Groupe Québec Amérique

Et les retombées sont nombreuses, dit-elle. Déjà, près de 400 titres provenant de 165 maisons d’édition ont été traduits en langue allemande en prévision de la Foire. De ce nombre, quelque 125 sont des titres québécois. Pensons à Manikanetish de Naomi Fontaine, Bondrée d’Andrée A. Michaud, La médiocratie d’Alain Deneault et même Bonheur d’occasion, de Gabrielle Roy, qui n’avait jamais été traduit dans la langue de Goethe.

PHOTO MARC JACQUEMIN, FOURNIE PAR LA FOIRE DU LIVRE DE FRANCFORT

La Foire du livre de Francfort rassemble plus de 2000 exposants venus de quelque 80 pays.

« La Foire du livre de Francfort, c’est un peu comme Cannes pour les films : c’est la plus grande scène mondiale pour faire connaître notre littérature, estime Sébastien Lefebvre, gestionnaire et responsable des projets d’exportation chez Québec Édition. De plus, le marché allemand est l’un des plus exceptionnels au monde. Les livres publiés en allemand sont presque deux fois plus nombreux que ceux publiés en langue française. Les Allemands sont de grands lecteurs et les éditeurs sont très friands de littérature étrangère. Être publié en allemand est un accomplissement pour un auteur. »

PHOTO MARC JACQUEMIN FOURNIE PAR LA FOIRE DU LIVRE DE FRANCFORT

Quelques ouvrages présentés à la Foire du livre de Francfort

L’autrice Catherine Mavrikakis a vu un de ses romans, Le ciel de Bay City, être traduit en Allemagne, 13 ans après sa sortie au Québec. « Je suis contente de voir que mon livre va aller à la rencontre d’un autre public. Ça m’a permis de redécouvrir cette œuvre sous un autre jour, notamment grâce à mes traductrices. Les Allemands ont un rapport très fort à la littérature, dont nous aurions beaucoup à apprendre. »

L’Allemagne d’abord, le monde ensuite ?

Dans les mois, les années à venir, certains titres – essais, romans, livres pour enfants – seront peut-être traduits aussi en japonais, en bengali, en espagnol, en néerlandais… Qui sait ? Aucune foire du genre n’attire autant d’éditeurs étrangers que celle de Francfort.

Sébastien Lefebvre cite l’exemple de Soifs, de Marie-Claire Blais. « Les droits pour la traduction allemande ont été vendus à la Foire en 2019 et depuis, le livre a été traduit en italien et en espagnol. L’étincelle a jailli ici… »

« La Nouvelle-Zélande a été invitée d’honneur il y a neuf ans et elle est encore en train de calculer les retombées », ajoute Caroline Fortin.

PHOTO MARC JACQUEMIN, FOURNIE PAR LA FOIRE DU LIVRE DE FRANCFORT

La pavillon du Canada a été conçu par le studio montréalais Mirari.

Il faut aussi savoir que bon nombre de libraires du pays ont reçu de l’information sur les livres canadiens nouvellement arrivés sur les rayons. Des auteurs ont été présentés, des collections dévoilées… Résultat : de nombreuses librairies consacrent une place de choix dans leur vitrine à notre littérature.

Mais il y a plus, dit Caroline Fortin. « Il y a tout un travail d’accompagnement qui a été fait auprès des éditeurs indépendants canadiens pour les aider à vendre leurs ouvrages sur le marché international. »

« Il faut du temps pour vendre un livre à l’international, ajoute François Charette. C’est un travail de longue haleine qui se construit à la Foire, à travers un travail de réseautage essentiel. Il arrive même que des ventes de droits entre éditeurs canadiens-anglais et québécois se fassent à Francfort ! C’est une tribune pour briller. Je suis convaincu qu’on va voir des répercussions sur la notoriété de la littérature canadienne et québécoise. »