La belle-mère d’Aurore, Marie-Anne Houde, était innocente du meurtre de l’« enfant martyre » survenu en 1920. C’est la thèse d’un nouveau livre de Daniel Proulx, écrivain et scénariste spécialisé dans les affaires judiciaires. Aurore est vraisemblablement morte d’une maladie congénitale. Entrevue.

Pourquoi écrire ce livre maintenant ?

Quand j’ai fait la série Les grands procès pour TVA il y a 30 ans, je me disais que ça prenait une démente absolue pour faire ça à un enfant. J’ai lu par la suite le dossier de Marie-Anne Houde dans les Archives nationales à Ottawa, parce que chaque condamné à mort avait son propre dossier. Ses lettres étaient très sensées et celles de l’aumônier et du directeur de la prison font état d’une prisonnière modèle. Mon interprétation de cette femme a changé. Il y a une dizaine d’années à Paris, j’ai vu un spectacle théâtral interactif sur un vieux procès français. À la fin, on demandait à l’auditoire de rendre un verdict, coupable ou innocent. J’ai joué un peu sur cette idée-là avec mon livre. J’ai décidé de scruter le procès, tous les témoignages, et j’ai vu que quelque chose ne marchait pas.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Daniel Proulx, écrivain et scénariste spécialisé dans les affaires judiciaires

Pourquoi a-t-elle été condamnée si elle était innocente ?

Celui qui a déclenché l’affaire est l’autopsiste. Il a entendu les ragots sur cette femme, une étrangère qui avait épousé un riche veuf en deuxièmes noces. Il a vu que la petite était couverte de plaies ulcéreuses et a conclu que c’était le résultat de coups. Dans un premier temps, la défense voulait expliquer qu’Aurore souffrait plutôt d’une lésion de la moelle épinière caractérisée par ces plaies. Peu avant, elle avait été hospitalisée un mois pour une blessure à un pied qui ne guérissait pas et il n’y avait pas alors de plaies ailleurs sur son corps. En plus, il y a eu des témoignages qu’Aurore urinait et déféquait sans contrôle, un autre symptôme de cette lésion. Mais la poursuite a fait témoigner les autres enfants de la maison au sujet des sévices commis par la belle-mère, la « marâtre » comme on l’appelait dans les journaux. L’avocat de la défense a été pris de court et a décidé de plutôt plaider la démence. Il n’était pas habitué aux procès criminels.

Est-ce que le verdict serait le même aujourd’hui ?

Non, tout d’abord parce que toute la preuve doit maintenant être communiquée à l’avance à la défense. Et ensuite parce qu’on sait mieux maintenant qu’il faut faire très attention aux témoignages d’enfants, parce qu’ils peuvent changer leurs réponses si on leur pose plusieurs fois la même question. En plus, aucun des témoignages d’enfants n’était corroboré, ils n’étaient jamais deux à voir en même temps un épisode particulier de maltraitance.

Certains des enfants se sont-ils repentis par la suite ?

On ne le sait pas. J’ai essayé de les trouver ou de trouver leurs descendants, mais ça n’a pas été possible. Ce qu’on sait, par contre, c’est que dans leurs lettres à leur mère en prison, ils l’appelaient “chère maman”, elle leur tricotait des bas. Il y a une relation très normale mère-enfant. On sait que des enfants ont changé de nom pour ne plus être associés à ce drame-là.

Qu’est-ce que cette affaire dit sur le Québec de l’époque ?

Dans le village, Marie-Anne Houde était traitée en étrangère. Il y avait un préjugé très négatif envers les marâtres, même si, à cause de la guerre, il y avait beaucoup de remariages. Ça date d’il y a longtemps. Dans les contes, la sorcière est souvent la belle-mère. Ensuite, c’est une époque faste pour les journaux, avant la radio, ils avaient le monopole de l’information. L’affaire a donné lieu à une pièce de théâtre qui a repris les manchettes des journaux et a eu un succès immense.

D’où vient votre intérêt pour les affaires judiciaires ? Êtes-vous avocat ?

Non, j’ai étudié la littérature. J’ai un frère de cinq ans mon aîné, j’ai travaillé pour son bureau de droit criminel durant mes études. Ça m’a amené l’idée d’une série sur les grands procès, et ensuite les chaînes spécialisées ont eu besoin de séries documentaires policières et j’ai répondu à la demande.

Quand avez-vous vu pour la première fois le film de 1951 ?

J’avais 7 ou 8 ans, alors je ne l’ai pas vu à ce moment. Mais tout le monde savait qui était Aurore l’enfant martyre, c’était passé dans le langage courant. Il y a trois personnages mythiques dans l’histoire du Québec : Séraphin Poudrier, Maria Chapdelaine et Aurore Gagnon. Seule Aurore a vraiment existé. Mais elle n’était pas martyre, mais malade.

Le mensonge du siècle

Le mensonge du siècle

Éditions La Presse

280 pages