À l’occasion de la sortie du film de Sébastien Pilote, nous vous avons demandé si vous gardiez un bon souvenir de la lecture du roman Marie Chapdelaine. Voici un aperçu des réponses reçues.

Lecture obligatoire au secondaire, ma grande sœur a dû faire une analyse littéraire de ce roman en secondaire 5. Nous sommes en 1980. J’étais de deux ans sa cadette et aimant la lecture, elle n’a pas eu besoin de me convaincre longtemps pour le lire. Dans une autre classe de français que celle de ma sœur, un prétendant (pas très assidu à ses travaux, mais que je trouvais bien de mon goût) m’a demandé si ma sœur avait complété cette analyse de Maria Chapdelaine. Dans l’affirmative, je lui rajoute que j’ai lu le livre ainsi que l’analyse de ma sœur ET que bien sûr, j’étais prête à l’aider en dérobant le travail de ma sœur et en y changeant quelques tournures de phrases pour déjouer les professeurs. C’était un geste pas très honorable, mais Maria m’a permis de me marier huit ans plus tard avec ce garçon qui avait énormément de qualités autres que celle de remettre les travaux scolaires à temps. J’ai mis 20 ans à avouer mon délit à ma sœur, délai nécessaire pour en rire tous ensemble ! Et je ne regrette rien pour autant : Maria Chapdelaine, au-delà du réputé roman, demeure une heureuse tranche de vie !

Jacinthe Amireault

Je l’ai lu lorsque j’avais 12 ou 13 ans, il y a 50 ans de cela. Je me souviens d’avoir pleuré quand François Paradis est mort. Je me souviens aussi étrangement que j’avais récité 1000 Ave moi aussi pour retrouver mon chat qui était disparu. Comme Maria priait pour que François revienne. Et mon chat non plus n’était pas revenu. Pour moi Maria Chapdelaine représente les trois seules options possibles pour les Québécois à cette époque : colon, bûcheron ou exilé. J’ai aussi vu le film de Gilles Carle quand il est sorti. Là aussi, j’ai pleuré quand François est mort.

Alice Kieran

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Les trois prétendants de Maria Chapdelaine : Eutrope Gagnon (Antoine Olivier Pilon), François Paradis (Émile Schneider) et Lorenzo Surprenant (Robert Naylor)

J’ai une édition de 1954, achetée en 1977 (j’écris toujours la date lorsque j’achète un livre !). J’avais 19 ans, j’étais en sciences à l’Université d’Ottawa, donc ce n’était certainement pas une lecture obligée, mais je ne me rappelle pas les circonstances de cet achat. Je suis actuellement en train de le relire avec beaucoup de plaisir. Avec les yeux d’aujourd’hui, cette histoire simple (ce n’est pas un défaut dans ce cas-ci) est riche, le ton est juste, elle est crédible. Je me rappelle très bien les « hommes engagés », à la ferme de mes grands-parents dans l’Outaouais, où j’allais passer mes étés. Assise sur les genoux de mon grand-père dans la cuisine d’été.

Jocelyne Frenette

J’ai 50 ans et j’ai lu Maria Chapdelaine pour la première fois ce printemps. Ce fut une lecture magnifique, j’ai adoré… je ne comprends pas pourquoi ce livre ne m’a jamais été proposé en lecture scolaire. Lire ce livre, c’est comme découvrir d’où on vient. Je suis native du Lac-Saint-Jean et la famille de mon père vivait sur une grande terre (agriculture, défrichage, etc.), ceci expliquant cela… Mais surtout, le texte est si beau. On sent le rythme lent de la vie, le passage des saisons, l’isolement des gens vivant au fond des rangs. Et des personnages forts aussi. Dommage que l’auteur soit mort si jeune.

Christine Lavoie

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La réalité de Maria Chapdelaine a touché de nombreux lecteurs.

J’ai lu Maria Chapdelaine en 1970 alors que j’avais 15 ans. Je vivais dans une ferme laitière de la vallée du Saint-Laurent. Ce fut un livre coup de poing pour moi. J’étais Maria, je m’identifiais à elle. Certes, la réalité dans une ferme laitière en 1970 était fort différente d’un lot à défricher dans l’arrière-pays en 1912, mais tout de même, je retrouvais dans ces pages toute la mentalité paysanne et des expressions qui avaient cours encore dans ma réalité. Louis Hémon a saisi à merveille l’âme québécoise de l’époque. Et que dire de l’écriture : complexe dans sa simplicité, poétique et évocatrice. L’épisode des voix m’a particulièrement touchée et encore à ce jour, ça vient tellement me chercher que je ne puis le lire sans pleurer. J’ai relu ce chef-d’œuvre à maintes reprises et je le trouve toujours aussi délicieux. Lorsque l’hiver, le diable s’empare du Québec à l’occasion d’une grosse tempête de neige, j’y trouve l’atmosphère idéale pour relire Maria au coin du feu, bien calée dans un fauteuil avec un café. À chaque relecture, je trouve quelque chose de nouveau et l’émotion est encore au rendez-vous.

Lise Tourigny

Tous les mois de septembre, je donnais à mes élèves une liste de lecture comprenant des romans québécois et français. Maria Chapdelaine y figurait, évidemment. Je leur disais que c’était un des plus beaux romans de notre littérature, n’en déplaise à monsieur Cassivi ! De plus, on analysait en classe un extrait du roman, celui où Maria, après avoir échangé ses vœux avec François Paradis, pense à sa vie d’avant, grise, uniforme, et à sa vie nouvelle, enivrante, colorée par l’amour. J’expliquais aussi que les noms des deux amoureux de Maria, François Paradis et Eutrope Gagnon, n’ont pas été choisis au hasard, le premier tout en douceur qui lui fera vivre le paradis, et le deuxième, ardu à prononcer, rude, semblable à la vie qui l’attend, où elle devra « gagner » sa vie. Tout film sur ce roman devra montrer que tout se passe en silence, les joies comme les peines. Pas de cris, pas de scènes, pas de révolte. Maria dit ses mille Ave en silence, à l’insu de tout le monde, et pleure aussi la mort de François en silence. C’était l’époque et on doit la rendre le plus fidèlement possible.

Bernard Marcoux, écrivain