La directrice du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), Lorraine Pintal, ne se voyait pas écrire, mais pas du tout. Responsable de la collection III chez Québec Amérique, Danielle Laurin l’a toutefois convaincue de la qualité de sa plume et de l’intérêt de se raconter. Roman autobiographique, Pourquoi les larmes ont-elles le goût salé de la mère ? relate trois souvenirs familiaux marquants pour la femme de théâtre qui, s’étant laissé prendre au jeu, aimerait poursuivre son aventure littéraire.

Lorraine Pintal affirme avoir accepté ce défi parce qu’elle pouvait s’éloigner de la biographie en inventant certains passages. Après Simon Boulerice et Catherine Mavrikakis, aussi collaborateurs à la collection III, Lorraine Pintal se rappelle, dans ce premier livre de fiction, le destin tragique de sa mère « adorée » qui s’est avéré primordial pour la femme qu’elle est devenue.

« Je parle de ses périodes sombres, ses descentes aux enfers, mais quand elle remontait à la surface, c’était une boule d’énergie incroyable. Tout l’optimisme que j’ai, je le tiens d’elle. J’ai gardé son appétit de vivre. Cela m’a donné confiance en moi. J’y ai trouvé le fondement de mon engagement féministe très jeune. Elle a vécu la tragédie de beaucoup de femmes de cette génération. Elle était très talentueuse, elle chantait très bien, mais elle n’a pas réussi à faire ce que j’ai fait, être sur scène sous les projecteurs. C’est crève-cœur. »

Sa mère souffrait probablement de troubles maniaco-dépressifs ou de bipolarité qui n’ont pas été détectés ni diagnostiqués à l’époque, croit-elle.

Je suis consciente de l’enjeu de la santé mentale pour ces femmes qui ont été enfermées dans des hôpitaux psychiatriques, parfois pour de mauvaises raisons. Ça m’a marquée. C’était trop fréquent, les électrochocs, dans ce temps-là. C’était barbare.

Lorraine Pintal

Revoir son enfance et son adolescence aura tout de même ouvert une boîte de Pandore contenant diverses blessures pas tout à fait cicatrisées.

« J’ai vécu avec tout ça longtemps et je me suis rendu compte que cela avait laissé des marques. J’éprouve de la tristesse pour ma mère, et ma relation avec mon père autoritaire a été difficile. J’ai repensé aussi à mes combats pour devenir comédienne et surmonter les embûches puisque l’époque n’était pas si permissive. »

Depuis sa perspective adolescente, ses parents ne s’aimaient pas, mais le divorce n’était pas une option dans les années 1950. À la fin de sa vie, toutefois, son père, qu’elle voyait comme responsable des malheurs de sa femme, aura finalement retrouvé grâce à ses yeux.

« Quand elle est morte, j’ai retrouvé un père plus tendre. Lorsque ma fille est née, il a eu un geste d’une douceur incroyable avec elle. J’ai compris que c’était un être très sensible, façonné comme les hommes dans ce temps-là qui ne montraient pas leurs sentiments. Ça m’a touchée. Je lui ai presque pardonné. »

L’art salvateur

Lorraine Pintal avait publié aux Presses de l’Université du Québec en 2016 De corps, de chair et de cœur – Ma vie au théâtre sur sa vision de l’art scénique. Elle parle aussi de cette passion dans son roman, très proche de la réalité finalement, mais rend compte surtout de ses lectures et influences. Ses héroïnes littéraires, comme Antigone et Bérénice Einberg, personnage principal de L’avalée des avalés de Réjean Ducharme, lui ont ouvert le chemin.

J’ai toujours été une grande lectrice, mais le foyer familial, je n’avais qu’une envie : le quitter. Je l’ai fait à 17 ans.

Lorraine Pintal

« Quand je suis arrivée à Montréal, au Conservatoire d’art dramatique, je savais que j’avais une vie à vivre dans tout ce qu’elle aurait de passionnant », se souvient-elle.

L’art l’a sauvée, estime la directrice du TNM, qui se dit désormais à l’âge des constats. Elle a senti qu’elle pouvait se confier en toute liberté dans son livre puisque ses parents sont morts. « J’ignore ce que le reste de ma famille va penser, mais c’est un point de vue très personnel avec des choses que j’ai enjolivées, poétisées. »

Comme elle l’écrit, la parole des femmes aura été fondamentale dans sa formation artistique. Lorsqu’elle jouait Quatre à quatre de Michel Garneau – qui vient de nous quitter – à Paris, elle a rencontré Marie Cardinal (Les mots pour le dire), Annie Leclerc (Parole de femme) et lu Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe), des paroles de femmes qu’elle appelle ses « illuminations ».

« J’ai beaucoup aimé l’exercice d’écrire, assez pour le faire à nouveau. Ça exige temps et concentration et j’avoue que c’est un tout autre métier. Je comprends Michel Tremblay d’aller à Key West pour lire et écrire. Quel bonheur ! Mon admiration pour les auteurs s’est décuplée. Là, je vois ce que j’ai accompli et ce qui reste à faire. »

Pourquoi les larmes ont-elles le goût salé de la mère ?

Pourquoi les larmes ont-elles le goût salé de la mère ?

Québec Amérique, collection III

170 pages