Après la destruction du Bien commun, constatée dans son recueil de 2018, Marcel Labine nous amène au bord du précipice où, devant les disparitions, métamorphoses et extinctions, il constate « le pire de nous ».

Le « je » autocritique du départ laissera la place au « nous » à la fin, dans une autopsie hallucinante et prophétique, écrite au plus qu’imparfait présent qui est malheureusement le nôtre. Un requiem pour désespérés seulement, pourrait commenter son collègue des Herbes rouges René Lapierre.

C’est un livre immense, inspiré, important même. Les mots de Marcel Labine invoquent ceux de grands classiques écrits par Homère, Eschyle, Shakespeare et, plus près de nous, Hubert Aquin et Claude Gauvreau, entre autres.

Le titre du recueil provient d’ailleurs du poète et savant persan Omar Khayyam : « Avant que nous fussions, rien ne manquait au monde »… Sinon l’érudition et la lucidité du poète montréalais, qui, page après page, à l’aide d’une poésie narrative, décrit l’orgueil démesuré d’un monde qui court à sa perte.

Il fouille les entrailles, les cloaques, les viscères et les marécages où s’agitent les bâtards de tous les pouvoirs dont « la lourde génétique exhibe l’inhumanité ». Entre la vengeance inutile et les testaments sans héritiers, les enfants y apprennent vite que « le bruit des choses ne tient pas parole ».

Sur la page couverture, un dessin de Léopold Rottman évoque le chaos d’un monde primitif. Tout était déjà là bien avant nous, et continuera sans nous.

Rien ne manquait au monde

Rien ne manquait au monde

Les Herbes rouges

248 pages

8/10