(Montréal) Le dramaturge et poète Michel Garneau, auteur notamment des pièces Les Guerriers et Émilie ne sera plus jamais cueillie par l’anémone, est décédé lundi à Magog, a annoncé son éditeur, L’Oie de Cravan. Il avait 82 ans.

« Michel Garneau, notre Michel aimé est mort cet après-midi, lundi 13 septembre 2021, à l’hôpital de Magog. Il a été poète jusqu’au bout. Sa voix chaude, sa vie chaude vont nous manquer », écrit l’éditeur.

Michel Garneau a été récompensé deux fois du prix du Gouverneur général, même s’il en a refusé un pour des raisons politiques – il avait été emprisonné pendant la crise d’Octobre.

L’auteur a écrit une vingtaine de pièces originales, mais il a aussi traduit et adapté en langue québécoise plusieurs dramaturges étrangers, dont Shakespeare ou García Lorca.

Il a aussi animé de sa voix grave mais enveloppante plusieurs émissions à la radio publique, où il conjuguait souvent poésie et musique.

Michel Garneau a par ailleurs enseigné pendant une vingtaine d’années à l’École nationale de théâtre du Canada, à Montréal – il en a même été en 1986 directeur artistique de la section française. Et il a été entraîneur à la Ligue nationale d’improvisation au tournant des années 1980.

L’écrivain a publié une trentaine de recueils de poésie – des vers libres qui donnent leur lettre de noblesse à la langue populaire québécoise. Il a aussi traduit en français des œuvres du poète montréalais Leonard Cohen, qu’il connaissait bien.

Adolescent rebelle

Né à Montréal à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le 25 avril 1939, dans une famille de la « bourgeoisie canadienne-française » – son père était juge –, Michel Garneau, rebelle à l’autorité religieuse, quittera son école secondaire d’Outremont à l’âge de 14 ans. Son frère, le poète Sylvain Garneau, venait de se suicider.

« J’ai quitté le collège avant d’avoir 15 ans en faveur de la vie », dira-t-il plus tard. Le jeune Michel quitte ensuite aussi sa famille à cet âge précoce, « pour devenir poète ». Il fera un passage éclair à l’« école du Théâtre du Nouveau Monde » et au Conservatoire d’art dramatique, avant de devenir – toujours à 15 ans ! – « annonceur » à la radio de Radio-Canada, en 1955.

Mais le poète écrit, effectivement. Et il publie, à compte d’auteur, dès 1956. Occupant un bon emploi à Radio-Canada – il y sera animateur, réalisateur et scripteur dans les années 1950 et 1960 –, Michel Garneau pourra se consacrer à l’écriture sans se soucier des fins de mois. Il publiera finalement plus de 25 recueils de poésie.

Arrêté et emprisonné en octobre 1970 pendant la rafle des « mesures de guerre » du gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau, le poète comprend alors qu’il faut aussi écrire pour un plus grand nombre et il consacre sa plume également vers le théâtre.

Naîtront une vingtaine de pièces, souvent écrites pour les finissants des écoles de théâtre, mais qui trouveront leur place sur les grandes scènes d’ici et d’ailleurs, et qui seront même traduites. Lui-même fera la « tradaptation » de quatre pièces de Shakespeare, dont un redoutable Macbeth en 1978, repris par Angela Konrad en 2015, et un Coriolan, en 1989, monté à nouveau par Robert Lepage à l’hiver 2019.

Ses tradaptations sont en « langue populaire québécoise » – pas vraiment du joual : plus proche de la parlure poétique des pêcheurs de marsouins de l’île aux Coudres dans les films de Pierre Perreault, avec qui Michel Garneau a d’ailleurs collaboré (La Grande Allure, 1985).

Traduire Leonard Cohen

Sa pièce Quatre à quatre (1973) sera montée sur plusieurs scènes du monde, tout comme Émilie ne sera plus jamais cueillie par l’anémone (1981), portrait très personnel de la poétesse américaine Emily Dickinson, où Garneau mêle théâtre et poésie. Créée à Montréal en octobre 1981, la pièce a été jouée au Festival d’Avignon en juillet 1983 puis montée à Paris la même année.

Sa pièce Les célébrations : Regard humoristique sur la vie de couple de deux intellectuels, créée en 1976, a été portée au grand écran en 1978 (sous le titre Les Célébrations) par le réalisateur Yves Simoneau – son premier long métrage.

Une autre de ses pièces, Les Guerriers, créée au théâtre en avril 1989, a été adaptée en 2004 pour un téléfilm réalisé par Micheline Lanctôt : deux publicitaires (Patrick Huard et Dan Bigras) s’enferment – et s’affrontent – pendant plusieurs jours afin de pondre un nouveau slogan pour l’armée canadienne : il faudra trouver mieux que Si la vie vous intéresse.

Une autre pièce encore, Mademoiselle Rouge (le Petit Chaperon rouge devenu adulte), lui vaut en 1989 un deuxième prix du Gouverneur général, catégorie théâtre cette fois, ainsi que le prix Victor-Morin de la Société Saint-Jean-Baptiste. Michel Garneau avait remporté un premier prix du Gouverneur général, catégorie poésie, pour Les Petits Chevals amoureux en 1978. Mais le poète se souvient de la Loi fédérale sur les mesures de guerre, qui l’avait jeté en prison en octobre 1970, et il refuse tout net la récompense d’Ottawa.

Leonard Cohen, dont la poésie était déjà traduite en France, avait demandé à Michel Garneau de donner sa propre version. Cela nous laisse Étrange musique étrangère  (Stranger Music, 2000) et le Livre du constant désir (Book of Longing, 2007).

L’éditeur Guérin avait publié en 1988 les Poésies complètes 1955-1987 de Garneau, maintenant épuisées. Plus de trente ans plus tard, la petite maison d’édition L’Oie de Cravan a demandé à Michel Garneau de choisir les poèmes qu’il considérait les plus marquants dans ses textes publiés mais aussi dans ses inédits : il nous laissera donc ce recueil Choix de poèmes (pas trop longs), publié en octobre 2019.

« Aujourd’hui, je lis ; parfois, j’écris un poème », disait l’octogénaire en 2016.

Mais en 2021, le poète fait paraître un roman, en prose : Le Couteau de bois, récit de son enfance.