Le dernier album du bédéiste Jean-Paul Eid s’intitule Le petit astronaute, mais ce n’est ni une aventure de science-fiction ni un conte pour enfants. Il s’agit de l’histoire heureuse – et touchante – d’un garçon atteint de paralysie cérébrale et de sa famille. Et c’est « de loin » son œuvre la plus personnelle.

« Si j’avais pu m’extirper de cette histoire-là et n’en faire qu’une fiction, je l’aurais fait », dit d’emblée Jean-Paul Eid. Le dessinateur de Memoria et de La femme aux cartes postales n’est en effet pas du genre à donner dans l’autofiction, contrairement à nombre de ses collègues québécois, dont Rabagliati, Zviane et Jimmy Beaulieu.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le bédéiste Jean-Paul Eid

Je suis vraiment de l’école des magazines d’humour, des scénarios très construits, du polar et de la science-fiction, précise le bédéiste qui est aussi derrière les absurdes aventures de Jérôme Bigras. L’auteur se tient toujours très loin. Ce n’est pas naturel pour moi [d’évoquer ma vie dans un album].

Jean-Paul Eid

L’idée de raconter la trajectoire d’une famille dont la vie s’articule autour d’un enfant handicapé lui trotte dans la tête depuis une dizaine d’années déjà. Pour une raison bien simple : son fils, aujourd’hui âgé de 20 ans, est né avec une paralysie cérébrale. Et s’il existe bien des récits de parents qui racontent les drames qui découlent du handicap, le bédéiste trouvait qu’il manquait un versant à cette histoire : le côté lumineux.

« Une belle histoire »

Petit astronaute n’est pas un récit de deuil. Il s’agit, dit son auteur, « d’une belle histoire », inspirée de sa vie, mais aussi de témoignages d’autres familles comptant un enfant handicapé. Une histoire qui ne passe pas par les yeux des parents de Tom, le petit garçon atteint de paralysie cérébrale, mais de sa grande sœur.

Après une scène d’ouverture très cinématographique évoquant l’atterrissage sur terre du « petit astronaute » du titre, on retrouve en effet Juliette devant la maison où elle a grandi. Par un beau hasard arrangé par le scénariste, la résidence est à vendre et c’est jour de visite libre. L’adolescente ose pousser la porte d’entrée et ouvre du même coup celle de ses souvenirs.

La suite de la bande dessinée romanesque est faite d’allers-retours entre différentes époques de la vie de Tom – son prénom est inspiré du Major Tom de David Bowie – et la façon dont sa famille a encaissé son handicap, puis appris à vivre avec celui-lui. Et comment le petit a traversé l’enfance, du CPE à une école spécialisée.

Le passage où il est question de l’entrée de Tom au CPE figure d’ailleurs parmi les plus touchants. « J’ai vu comment [les autres enfants] accueillaient la différence et comment ça avait peu d’importance », explique l’auteur, qui précise que cette intégration a été immensément bénéfique pour son fils.

« Tu te dis qu’il y a quand même de l’espoir pour la nature humaine quand tu vois ces enfants-là, poursuit-il. Il y a même l’un d’eux qui vient encore aux anniversaires de mon fils. Il a 20 ans, il est impliqué dans son association étudiante, il n’a rien à voir avec mon fils qui joue avec Babar… Mais c’est un lien qui est resté. »

Un visuel enveloppant

La puissance d’évocation de Petit astronaute tient à la qualité du récit, à la manière sensible de son auteur, qui jongle habilement entre les versants lumineux et plus sombres de la réalité qu’il raconte, mais également à sa maîtrise sur le plan visuel. Il a volontairement limité sa palette de couleurs, créant des environnements enveloppants qui guident le lecteur dans son scénario touffu.

Il faut que le dessin et la couleur soient au service du récit, c’est pour ça que j’ai essayé de garder quelque chose de contenu.

Jean-Paul Eid

Son approche graphique, très cinématographique par moments, coule de source. « Je me suis fait confiance », dit-il bien humblement.

Jean-Paul Eid le reconnaît : apprendre que son enfant a un handicap grave est tout un choc. « Moi, ce dont j’avais besoin à ce moment-là, c’est d’une histoire de bonheur, une histoire de famille qui s’articule autour du handicap », dit-il toutefois. Le bédéiste n’a pas besoin de le préciser : ce qu’il espère avec Le petit astronaute, c’est de faire œuvre utile simplement en faisant du bien.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Le petit astronaute, de Jean-Paul Eid

Le petit astronaute
Jean-Paul Eid
La Pastèque
156 pages