Est-ce les journées ensoleillées de la semaine dernière ? Est-ce l’espoir de voir la pandémie s’estomper ? Toujours est-il que j’ai dévoré avec bonheur l’autobiographie que lance ces jours-ci le compositeur François Dompierre.

Le titre Amours, délices et orgues, à part le fait qu’il indique que l’auteur a bien retenu les règles de français de la petite école, affiche clairement les couleurs de cet ouvrage qui est le précieux témoignage de quelqu’un qui a joué un rôle capital dans l’essor de notre culture.

En plus, Dompierre partage ces instants en y exploitant ses talents d’auteur. Du beau et grand plaisir, vous dis-je !

Comme toute bonne autobiographie, le livre s’ouvre sur l’enfance du compositeur. Nous découvrons un cadre qui n’est pas sans rappeler celui qui deviendra son partenaire dans l’aventure de Demain matin, Montréal m’attend, Michel Tremblay.

Les Dompierre vivent à Hull (avant sa fusion avec Gatineau). Outre les quatre enfants et les parents, une grand-mère, dite Mémé, et une grand-tante, dite Clé, complètent le clan familial. « Je suis né dans une bande dessinée », écrit l’auteur.

Les Dompierre ont la chaleur des Tremblay de la rue Fabre (François est câliné et dorloté par Mémé et Clé), mais ils ont aussi un côté intellectuel, un esprit curieux. La mère, Yolande, la maman poète, surnommée la reine d’Écosse, tient salon le dimanche.

Le père, Roland, est un homme affable, serviable, qui vénère sa femme. Deux fois le dimanche matin, il se rend à l’église : la première fois pour la messe basse de 7 h 30 et la seconde fois pour la grande messe de 9 h 45. C’est là que le petit François découvre le son de l’orgue.

L’épisode où le grouillant petit frère Sylvain, qu’on devait relier à un poteau par une corde, s’échappe sous le regard insouciant du grand frère est délicieusement raconté. La panique qui s’ensuit, les recherches qui sont effectuées et les trouvailles qui ont lieu plusieurs heures plus tard, tout cela défile sous nos yeux comme un film.

Chez les Dompierre, il y a des sons partout, mais aussi des parfums, ceux qui proviennent de la cuisine. Le petit François est tombé dans une marmite et dans la caisse du piano en même temps. Il découvre les deux grandes passions de sa vie : la musique et la gastronomie. Celle des voyages viendra plus tard.

On suit donc l’apprentissage musical de Dompierre, son éveil, ses découvertes et, surtout, ses propres expériences. Dompierre est un élève surdoué, mais têtu. Il est à la fois une fierté et une source de damnation pour ses professeurs.

Sœur Dorothée de Jésus, qui enseigne le piano au jeune garçon de 11 ans, vient un jour voir la reine d’Écosse pour lui dire qu’elle n’arrive pas à inculquer quoi que ce soit à son fils. La mère est étonnée, car elle l’entend jouer du Mozart et du Haydn à la maison. « Je n’ai pas dit qu’il ne savait pas jouer du piano, mais qu’il n’apprenait pas le piano, réplique la religieuse. Les morceaux que vous avez confondus avec ceux des compositeurs classiques sont en réalité des improvisations. »

Le jeune adulte qu’il devient après le conservatoire fait des rencontres. Il va, sans aucun préjugé, vers toutes sortes de personnalités et d’univers. Il va où se trouve la musique : des interprètes (Renée Claude, Pauline Julien, Monique Leyrac, Christine Charbonneau), des concepteurs publicitaires (On est six millions, faut s’parler, Dominion nous fait bien manger), des projets qui suscitent la perplexité de ses proches (Le jour du Seigneur), mais aussi des trucs plus audacieux (IXE-13, Demain matin, Montréal m’attend).

Fonceur, Dompierre n’hésite pas à s’attaquer à des projets costauds, car à partir des années 1970, il devient le compositeur avec un grand C d’un nombre incalculable de musiques de film (Les portes tournantes, Bonheur d’occasion, Léolo, Le matou, Le déclin de l’empire américain).

Il est également celui qui a su mettre dans un écrin et pour l’éternité quelques-unes des plus belles chansons de Félix Leclerc en créant des arrangements d’une beauté infinie.

Enfin, c’est celui qui a composé, pour son plus grand plaisir (il faut bien qu’un créateur en ait juste pour lui), des œuvres majeures comme un Concerto pour piano et orchestre en la majeur, un Concerto pour violon et orchestre créé par Angèle Dubeau et 24 préludes en forme de bougie et de bien d’autres choses encore.

Cet esprit libre (on découvre qu’il est un fan de musique country) et kamikaze (il a eu sa période moto) accepte ces défis en ne se demandant qu’une chose : vais-je y trouver du bonheur ? Il y va également en se disant qu’un compositeur doit vivre et faire vivre sa famille.

À travers ces innombrables projets, il a composé la musique de 200 chansons, dont la monumentale L’âme à la tendresse pour Pauline Julien, dont il trace ce charmant portrait.

« Pauline. Une sorcière pas comme les autres ! Chantait-elle faux ? On le dit. Mais elle parlait si vrai. Était-elle belle ? Elle était tellement autre chose qu’elle le paraissait. »

Au-delà de la richesse des propos et des évènements, ce livre a la qualité d’offrir un style romancé. François Dompierre, fin conteur au quotidien (encore plus autour d’une table), a souhaité écrire la vie de Monique Leyrac sous la forme d’un roman.

Il livre aujourd’hui la sienne avec le même soin, le même talent.

Mais attention, romancer sa propre histoire ne veut pas dire l’enjoliver inutilement ou esquiver certains aspects. Bien au contraire, une grande sincérité émane de chacune des pages. Le récit de son séjour dans un établissement psychiatrique est bouleversant.

Contrairement à certaines personnalités qui font succéder leurs histoires d’amour avec des points-virgules énigmatiques, Dompierre le fait en y mettant des traits d’union d’une grande franchise. C’est sans doute pour cela qu’il dédie ce livre aux trois femmes qui ont partagé sa vie. De même qu’à ses quatre enfants.

À cet égard, le livre nous permet de découvrir le père sensible et visiblement fier de ses enfants. Même s’il a n’a pas été un paternel classique, on sent qu’il a tenté de leur offrir le meilleur de lui-même. L’un d’eux, Fred, apercevant un jour Michel Tremblay et André Brassard habillés de manière excentrique dans la cuisine familiale (souvenez-vous de la période djellaba de Tremblay), a compris qu’il ne grandissait pas dans une famille conventionnelle.

Je l’ai dit, François Dompierre a aussi la passion des voyages, dont il fait le récit de certains en nous emmenant avec lui. « Voyager est un art », écrit-il.

Il a aussi cet amour pour la gastronomie. Il ne peut donc pas s’empêcher de nous offrir quelques recettes. Ne vous attendez donc pas à une ennuyeuse nomenclature d’ingrédients. Encore là, c’est le romancier en lui qui nous explique comment faire des spaghettis carbonara à la provençale ou un coq au vin. Il le fait dans un style que la grande Colette, elle aussi amatrice de bonne chère, aurait sans doute beaucoup apprécié.

Le printemps est là, l’été s’en vient. Ce livre est à mettre en haut de la pile.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Amours, délices et orgues – Récit d’une vie plurielle, de François Dompierre

Amours, délices et orgues – Récit d’une vie plurielle
François Dompierre
Les Éditions La Presse
384 pages