Le 23roman de Yasmina Khadra, Le sel de tous les oublis, n’échappe pas à la saveur des livres précédents de l’auteur algérien, à savoir sa signature universelle et humaine. En pleine pandémie, il résonne comme un appel au courage, à la résilience et au respect des autres. L’ouvrage est passé sous le radar en France, l’écrivain se disant victime d’exclusion dans le pays de résidence qu’il a choisi il y a 20 ans…

La voix de Yasmina Khadra est l’une des plus précieuses de la littérature francophone. Les lecteurs épris de son style élégant, de ses histoires passionnantes et de son humanité se comptent par millions, tant ses œuvres vont directement au cœur et à l’esprit. Ses romans sont traduits en une cinquantaine de langues et publiés dans autant de pays. Quatre d’entre eux ont été adaptés au cinéma, sept au théâtre et deux en bande dessinée. Mais Le sel de tous les oublis n’a pas eu le retentissement médiatique de ses ouvrages précédents.

Pourtant, ce roman épique se déroulant dans l’Algérie nouvellement indépendante de 1963 résonne dans la réalité d’aujourd’hui. Son personnage central, Adem, voit sa femme le quitter pour un autre homme. Il la frappe. Elle part. Stupeur, incompréhension, mais aussi arrogance et naïveté chez Adem qui lâche brusquement son poste d’instituteur et part se soûler dans la ville où il a rencontré sa femme. À partir de ce moment, déprimé et désagréable, il va vivre une errance durant laquelle il fait de multiples rencontres qui vont, doucement mais sûrement, le remettre sur les rails de la raison et de la déférence…

La Presse a joint en France Yasmina Khadra pour parler de son nouveau livre, peut-être moins spectaculaire que certains de ses grands succès (L’attentat, Les agneaux du Seigneur, Les hirondelles de Kaboul ou Ce que le jour doit à la nuit), mais qui apporte un peu d’espoir à ceux qui en ont besoin…

La Presse : La sortie de votre roman a coïncidé avec la pandémie de COVID-19. Comment allez-vous ?

Yasmina Khadra : Cette pandémie est une monstruosité. J’ai eu beaucoup de deuils dans ma famille. La situation est difficile en France. On n’a pas été disciplinés et attentifs aux autres, alors qu’on peut bien se passer d’un Noël pour pouvoir célébrer tous les autres.

L.P. : Il faut des efforts, mais ça va bien aller !

Y.K. : Je ne sais pas. Je vis dans un milieu malsain, partisan, plein de clichés. Je suis considéré comme un paria dans le milieu parisien malgré le fait que je vis là depuis 20 ans. C’est toujours la même exclusion. On essaie de m’abattre.

L.P. : Pourquoi ?

Y.K. : Parce que je ne suis pas conforme aux critères qu’impose Paris aux écrivains francophones non français. C’est terrible. Je n’aurais jamais pensé que ça puisse arriver à un écrivain dans un pays qui se dit la patrie des Lumières. Mon livre, sorti en août, a été boycotté par l’ensemble de la presse parisienne, même si mon éditeur a bien fait les choses.

L.P. : Avez-vous écrit ce roman durant le confinement ?

Y.K. : Non, je l’avais écrit il y a trois ou quatre ans. Pendant le confinement, j’étais dans une sorte de déprime qui m’empêchait de lire et d’écrire. Je pensais à ma famille en Algérie, au danger. Je n’avais pas la sérénité nécessaire pour l’inspiration.

L.P. : Votre nouveau livre est justement une incitation au courage et au dépassement de soi quand on est accablé…

Y.K. : C’est une leçon de vie. Nous traversons tous des moments très difficiles qui nous paraissent insurmontables. Adem, c’est un peu nous dans des moments de renoncement ou de déni, quand on est étrangers à nous-mêmes et qu’on n’essaie pas de se relever. Tant qu’on est en vie, il faut traquer le bonheur.

L.P. : Votre roman évoque le mouvement #metoo, quand l’attitude d’Adem illustre son manque de respect envers les femmes.

Y.K. : Adem pense être le dernier des hommes et n’a même pas de respect pour lui-même. Il n’a rien compris à la femme. J’ai pour les femmes la plus grande des admirations. Les hommes qui déprécient la portée de la générosité de la femme sont des hommes qui passent à côté de leur vie, comme Adem.

L.P. : Adem rencontre le nain Mika qui fait penser au Sancho Panza du roman de Cervantes. C’est la voix de la raison…

Y.K. : Mika est un personnage qui m’a appris beaucoup de choses. C’est sans doute le plus beau personnage que j’aie créé. Si la vérité sort de la bouche des enfants, elle sort aussi de la bouche des pauvres qui n’ont pas voix au chapitre et qui sont les vrais porteurs de la vérité. Les plus grands poètes que j’ai rencontrés n’étaient pas dans les livres, mais dans le Sahara, les ergs et les coins les plus reculés.

L.P. : Êtes-vous en phase d’écriture actuellement ?

Y.K. : Bien sûr. Je n’ai pas d’amis ni de maîtresse à Paris, alors j’écris chez moi pour oublier ma solitude. J’ai un livre qui sort en mars, 100 % mexicain. J’ai vécu au Mexique et c’est librement inspiré de l’histoire vraie d’un homme désarticulé après avoir reçu plusieurs balles dans le corps. Le livre sortira chez le nouvel éditeur Mialet Barrault, qui a publié Crénom, Baudelaire !, de Jean Teulé.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Le sel de tous les oublis, de Yasmina Khadra

Le sel de tous les oublis
Yasmina Khadra
256 pages
Julliard
★★★★