(Tel-Aviv) Sous ses airs décontractés et son sourire blagueur, l’auteur israélien Etgar Keret se décrit comme un « grand angoissé », une tendance que la crise du coronavirus n’a pas « arrangée », au point de trouver dans l’incertitude et le chaos ambiants de nouvelles sources d’inspiration salvatrices.

Auteur prolifique de nouvelles corrosives et à l’humour noir, traduites dans plus de 40 pays, Etgar Keret, 53 ans, un des écrivains les plus populaires de sa génération en Israël explique comment la pandémie a brisé la « force d’inertie » de la vie ordinaire, faisant exploser son inspiration.

« L’épidémie de COVID correspond à une des périodes les plus prolifiques de ma vie », explique-t-il dans un entretien à l’AFP, dans le salon de son petit appartement lumineux à Tel-Aviv.

Dans l’entrée, à côté d’une photo en noir et blanc de sa mère, survivante du ghetto de Varsovie et décédée depuis plusieurs années, est accrochée l’affiche du film Les méduses, Caméra d’or à Cannes en 2007, écrit et réalisé avec sa femme, Shira Geffen.

« La vie est d’habitude une suite d’actions dictées par un comportement compulsif qui nous pousse à faire et refaire toujours la même chose. La COVID a brisé cette force d’inertie », dit-il.

« C’est comme une grande claque dans la figure. Tout d’un coup, on voit plus, des choses qu’on ne voyait pas avant, comme un cheval à qui on aurait arraché ses œillères », ajoute-t-il.

« Narratif victimaire »

Depuis la première période de confinement en Israël en mars, Etgar Keret n’a pas cessé d’écrire, comme pour conjurer par ses nouvelles déjantées les affres de la pandémie.

Dans Pourquoi quitter cette vie merveilleuse ? (publié dans Libération en avril), il s’imagine victime d’une insomnie récurrente au cours de laquelle il fantasme sa propre mort d’asthmatique — l’auteur est effectivement atteint d’asthme —, infecté par le nouveau coronavirus.

La solitude et l’isolement provoqués par le confinement parcourent Eating olives at the end of the world, The New York Review of Books, avril 2020, NDLR), dans lequel une caissière de supermarché, effondrée par l’impossibilité de prendre son petit-fils dans ses bras, exige de se faire payer en câlins.

Ces thèmes parcourent aussi Outside (New York Times Magazine, juillet 2020), fable surréaliste sur un monde post-confinement dans lequel les citoyens seraient incapables de reprendre leurs activités habituelles et décideraient de rester chez eux.

Etgar Keret a également collaboré avec la chorégraphe Inbal Pinto à la réalisation d’un court métrage, adaptation de son texte Outside, sous-titré en plusieurs langues, dont le français. Il met en scène une danseuse paniquée, enfermée dans un appartement chaotique, qui tente vainement de communiquer avec le narrateur autoritaire, prisonnier d’un écran de télévision, lui ordonnant de sortir de chez elle.

À l’origine conçu pour le web, le film a aussi été projeté à Times Square, au carrefour Shibuya de Tokyo et sur le mur du théâtre national israélien Habima à Tel-Aviv.

Expliquant son regain d’inspiration apparemment paradoxal dans une période aussi difficile pour l’esprit, Etgar Keret dit ne pas se retrouver « dans le narratif victimaire » de nombreux artistes expliquant « combien la vie était mieux avant ».

Un monde branque

« Je ne pense pas que le monde était parfait et qu’on nous l’a pris, je pense qu’il était déjà assez branque et que maintenant on a peut-être une chance de l’améliorer », dit-il.

Il cite son père, rescapé comme sa mère de la Shoah : « Mon père disait que même si évidemment il préférait les périodes faciles, c’est dans les périodes difficiles qu’on apprend le plus sur soi-même et que, rétrospectivement, c’est le plus intéressant ».

« C’est valable aussi maintenant avec la COVID », estime l’auteur en soulignant que ses « sources d’inspiration sont toujours négatives ».

« J’écris quand je suis angoissé, quand je m’ennuie, quand je suis en colère », poursuit-il. « Quand la situation est merdique, comme maintenant avec le Covid et son lot d’anxiété, de frustration et d’incertitude, c’est à ce moment-là que je pense à une blague ou à une histoire », dit-il.

« L’humour et la créativité sont pour moi comme des coussins gonflables dans une voiture virtuelle. L’écriture n’est pas le but de ma vie, c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé d’y faire face », conclut-il.