Après avoir passé 30 ans à raconter des histoires (Un singe à Moscou, L’analyste, Le droit chemin, pour ne nommer que celles-là), le romancier David Homel tâte cet automne de la non-fiction. Sous le joli titre Le vide sous mes pas, l’écrivain né à Chicago et qui vit à Montréal depuis le milieu des années 80 fait partager réflexions et questionnements sur le vieillissement et le rapport au corps à partir de sa propre expérience, mais aussi de rencontres, de discussions, de lectures et d’anecdotes récoltées au fil des ans.

Le tout forme un récit en zigzag mais tout à fait cohérent, dont le point de départ est un grave accident auquel il a miraculeusement survécu alors qu’il avait 18 ans. En 1970, dans le but d’éviter l’armée — et surtout la guerre du Viêtnam —, David Homel a réussi à quitter les États-Unis pour l’Europe, voyage qui a pris une tournure dramatique lorsqu’il a fait une chute dans un ravin en Espagne.

Jambes disloquées, transport dans un hôpital espagnol, puis, ô ironie, sur une base navale américaine située près de Cadix, opérations douteuses, dépendance aux médicaments qu’on lui administre sans se soucier de le rendre accro : il faut avoir le cœur solide pour lire certains de ces passages qui donnent froid dans le dos.

On a l’impression d’être au Moyen Âge de la médecine et de la pharmacologie, et ces moments qu’il décrit avec beaucoup de précision, mais en évitant tout sensationnalisme — pas besoin ! —, mettent la table pour la suite. C’est-à-dire une vie à côtoyer la douleur physique, puis une longue et lente rééducation, une reconstruction qu’il entreprendra après des décennies à endurer la souffrance comme un trophée.

Résultat, David Homel n’a pas suivi la « courbe typique du vieillissement », explique-t-il dans son introduction. « En allant à l’encontre d’une progression normale, je suis devenu plus fort et en meilleure forme à mesure que j’ai vieilli. »

L’expérience particulière de cette « vie à rebours » l’a donc mené à ce livre très intime, sans artifice et où il ne se donne pas nécessairement le beau rôle. Avec lucidité et humour, il revient sur les évènements de l’époque, s’interroge (avec raison) sur les traitements qu’il a reçus, mais fait aussi se croiser ses souvenirs d’une enfance dure et pauvre à Chicago et ses observations sur les adeptes du YMCA de l’avenue du Parc, convoque sa mère disparue et une infirmière qui l’a sauvé de la déchéance et dont il est un peu tombé amoureux.

Le tout entrecroisé de réflexions sur le désir, la mort, l’amitié ou la retraite, dans une dernière partie où on sent parfois poindre des réflexions qui peuvent paraître « datées » aujourd’hui, sur la séduction et les relations entre les hommes et les femmes par exemple — mais avec son instinct d’écrivain, David Homel en est conscient et sait faire une pirouette pour les actualiser.

Et si sa volonté d’essayer de comprendre la sexualité des femmes vieillissantes peut surprendre, on y voit surtout une ouverture d’esprit et un réel intérêt pour l’autre. Intérêt qui transpire dans chacune des pages de ce livre qui charme par les chemins de traverse qu’il emprunte autant qu’il interpelle par le sérieux des sujets qu’il aborde.

« Je resterai dans la partie jusqu’à ce que je sois absolument forcé de la quitter », conclut David Homel. Le vide sous mes pas — qui est le vide sous nos pas à tous, au fond — devient ainsi un plaidoyer pour la beauté et pour l’amour, et contre le renoncement. Et à cette époque où le jeunisme à tout cran domine, la voix de l’auteur est une voix de sagesse (un peu) et d’expérience (beaucoup), qui ne peut qu’éclairer notre parcours.

Le vide sous mes pas
David Homel
Leméac
Traduit par Jean-Marie Jot
Trois étoiles et demie