Acquitté jeudi des accusations de production et de distribution de pornographie juvénile qui pesaient sur lui, Yvan Godbout, auteur du conte d’horreur Hansel et Gretel, dit se réveiller d’un long cauchemar qui a failli le pousser au suicide.

« C’est comme si une montagne venait de débarquer de mes épaules. Je n’ai fait que pleurer de soulagement pendant deux heures avec mon chien sur les genoux », confie Yvan Godbout à La Presse. C’est la description de l’agression sexuelle d’une petite fille de 9 ans par son père qui a valu à l’auteur du roman d’horreur Hansel et Gretel de se faire arrêter le 14 mars 2019. Une scène jugée « trop explicite » par une enseignante qui a décidé de porter plainte contre lui. À sa grande surprise, Yvan Godbout a alors dû faire face aux tribunaux, mais aussi aux accusations du public.

« Même si je suis acquitté aujourd’hui, le mal est déjà fait. Tellement de gens m’ont pointé du doigt en disant que j’étais un pédophile parce que j’étais associé à mes personnages abuseurs. Même si je sais que ça ne fera pas disparaître le cauchemar, je suis content de pouvoir montrer à tout le monde qu’ils avaient tort, que je ne suis pas un pédophile », précise Yvan Godbout.

Je vais commencer à respirer un peu, essayer d’avoir une vie normale.

Yvan Godbout, auteur

Un soulagement que son éditeur, François Doucet, fondateur des Éditions AdA, visées par les mêmes accusations, a encore du mal à éprouver.

« On ne saute pas de joie. J’ai 63 ans, on a détruit mon entreprise, je ne me sens ni libéré ni soulagé. On a gagné, mais les conséquences sont énormes », confie l’éditeur.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

François Doucet, fondateur des Éditions AdA, et son avocat, MCharles Montpetit

« Un de mes enfants a tenté de se suicider, tout comme Yvan. J’ai dû mettre à pied mes employés. On devait publier 350 livres, mais c’est fini. J’ai dû fermer mon centre de distribution, vendre ma bâtisse. Un autre de mes fils a été arrêté. Il a 25 ans et il fait des ulcères d’estomac », ajoute François Doucet.

Nous ne sommes pas des criminels, on est des éditeurs. On a mis des millions de dollars de livres au pilori. Ils ont détruit une entreprise québécoise !

François Doucet, éditeur

M. Doucet craint encore que le Directeur des poursuites criminelles et pénales ne fasse appel de la décision du juge au cours des 30 prochains jours. « Je pense que c’est plus important pour eux d’avoir raison que d’écouter la raison. Même si le juge leur a tapé sur les doigts », explique François Doucet qui n’envisage pas encore de demander réparation pour le préjudice qu’il a subi. « Il n’y a rien, pas d’argent, qui va réparer ce que mon fils a vécu », lance-t-il avec émotion.

« J’ai voulu partir »

Alors qu’il a préféré garder le silence tant que durait la procédure, Yvan Godbout raconte maintenant avec émotion le récit de son arrestation, dont les moyens déployés par les policiers sont décrits par le juge Marc-André Blanchard comme « étonnants », voire « exorbitants », dans son jugement rendu jeudi matin.

« Je me souviens de m’être dit : “C’est un cauchemar, je vais me réveiller.” J’en tremble encore. Ils sont entrés dans ma chambre. J’étais nu, ils m’ont obligé à me lever devant eux, à faire pipi et m’habiller devant eux. Je ne comprenais pas ce qui se passait, je me disais : “Ça ne se peut pas que je me fasse arrêter pour avoir écrit ce roman-là” », se rappelle l’auteur d’Hansel et Gretel.

Bien que soutenu par sa famille, Yvan Godbout a un moment décidé qu’il préférait en finir avec la vie.

J’ai essayé d’être le plus fort possible. Mais [l'hiver dernier], j’ai voulu partir parce que je me disais que ma famille, ma maison d’édition, mes proches seraient enfin libérés de vivre ce poids à cause de moi.

Yvan Godbout

« J’ai l’impression de faire semblant de vivre depuis plus d’un an. Je fais des beaux sourires, je ris avec les gens, je prends un verre, mais j’ai l’impression d’être dans Body Snatchers, que quelqu’un utilise mon corps, mon cerveau, mais que le vrai Yvan est bien loin en ce moment. »

Sauvé par le soutien de ses lecteurs et d’autres auteurs

En pleine tempête, Yvan Godbout a pu compter sur le soutien de lecteurs et d’auteurs qui sont des milliers à avoir signé une pétition en ligne, mais aussi à lui avoir écrit quotidiennement. « Je crois que ce sont ces gens qui ont fait en sorte que je suis encore debout aujourd’hui pour entendre ce jugement », lance-t-il.

« J’ai réalisé avec ce combat que je devais aussi rester debout pour tous les autres auteurs. Je ne peux pas imaginer un autre auteur passer par ce cauchemar-là. Je vais ressortir de là avec des béquilles, mais un autre pourrait tomber au combat », déclare l’auteur d’Hansel et Gretel.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Senécal, auteur

Parmi ceux qui se sont prononcés en faveur d’Yvan Godbout figure notamment l’auteur Patrick Senécal, qui se réjouit de l’acquittement de son confrère. « J’ai crié de joie dans mon bureau ! Il y a une partie de moi qui se disait que ça ne se pouvait pas qu’il soit reconnu coupable. Ça aurait été un non-sens, on aurait laissé place à l’absurdité, l’arbitraire. J’ai toujours espéré que cette histoire allait servir de précédent. Maintenant que le bon sens a triomphé, qu’Yvan est heureux, qu’est-ce qu’on fait pour que ça n’arrive plus ? », questionne l’auteur de livres d’horreur comme Les sept jours du talion et Le vide, qui décrivent également certaines scènes de violence sexuelle envers des enfants.

« On m’avait retiré ma passion et j’espère pouvoir me replonger dans l’écriture sans avoir toujours dans la tête ce fameux cauchemar. Je n’en suis pas là. Je le sais parce que chaque soir, ça me prend des heures avant de dormir parce que je suis hanté par ça », conclut Yvan Godbout.

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Vous pouvez aussi consulter le site commentparlerdusuicide.com