Au bout du fil, en retard sur l’heure convenue de notre rendez-vous téléphonique, Shaparak Shajarizadeh se confond en excuses. « J’étais au téléphone avec un ami à Téhéran. Et quand je parle à quelqu’un en Iran, je perds le fil du temps… »

Shaparak Shajarizadeh est peut-être réfugiée à Toronto depuis deux ans, mais son cœur est resté en Iran. Si elle y était restée, elle serait elle aussi en prison. Tout ça parce qu’elle a brandi son hijab au bout d’un bâton, rue de la Révolution.

En 2017-2018, les images de ces Iraniennes qui manifestaient contre le port obligatoire du voile ont fait le tour du monde. Shaparak Shajarizadeh était l’une d’elles. Sur une photo diffusée à l’hiver 2018, elle pose devant le carrefour d’une rue de la capitale iranienne. Sa tête et son cou sont nus. De sa main droite, elle brandit au-dessus de sa tête une branche d’arbre, au bout de laquelle pend un voile blanc.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Sur une photo diffusée à l’hiver 2018, Shaparak Shajarizadeh pose devant le carrefour d’une rue de la capitale iranienne. Sa tête et son cou sont nus. De sa main droite, elle brandit au-dessus de sa tête une branche d’arbre, au bout de laquelle pend un voile blanc.

La photo orne la couverture de La liberté n’est pas un crime, le récit que Shaparak Shajarizadeh a coécrit avec la collègue chroniqueuse Rima Elkouri, et qui est maintenant offert au Québec après avoir été lancé en France l’hiver dernier. Le livre raconte l’histoire derrière cette photo, celle de Shaparak (qui signifie « papillon » en persan), mère de famille de la classe moyenne aisée devenue militante féministe traquée par les autorités.

« Une femme ordinaire qui a eu un courage extraordinaire », dit Rima Elkouri. La principale intéressée ne se voit toutefois pas en héroïne. « Je ne dirais pas que c’est de la bravoure, dit Mme Shajarizadeh. J’avais juste le sentiment qu’il fallait que je le fasse. »

Retour en 2018. Quand la photo a été prise, Shaparak Shajarizadeh n’était pas la première à défier ainsi l’obligation faite aux femmes iraniennes de couvrir leur tête. En décembre 2017, après la vague #metoo qui avait aussi trouvé son écho chez les Iraniennes, une femme, Vida Movahed, avait été photographiée en train de brandir ainsi son voile dans la rue de la Révolution, à Téhéran.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Vida Movahed, en décembre 2017

L’image avait fait une forte impression sur Shaparak Shajarizadeh, qui participait depuis sept mois déjà au mouvement des Mercredis blancs (#WhiteWednesday), où hommes et femmes diffusaient des photos d’eux vêtus de blanc pour protester contre le voile obligatoire. Avec Vida Movahed, un nouveau mouvement est né, celui des #GirlsOfRevolutionStreet.

Après quelques séances publiques où elle a imité le geste de Vida Movahed, Shaparak Shajarizadeh est arrêtée et emprisonnée une première fois, en février 2018. Après sa libération, et malgré les supplications de son mari et de ses amis, elle se fait à peine plus discrète, continuant à publier des photos d’elle tête nue et des vidéos critiques des autorités sur Instagram. Elle est arrêtée à nouveau, cette fois-ci en présence de son fils, et conduite en prison. Une grève de la faim et une nouvelle intervention de son avocate Nasrin Sotoudeh lui permettent de sortir en attendant la peine. Mais pour Shaparak, c’en est trop : elle décide de fuir le pays. Elle débarque à Montréal avec son fils en septembre 2018, avant de s’établir à Toronto, où son mari est venu la rejoindre quelques mois plus tard.

Le courage et la bravoure

Shaparak Shajarizadeh ne se considère plus comme musulmane depuis la fin de la vingtaine, et écrit croire d’abord en la liberté. « Ce qui compte, c’est que les femmes soient libres. Libres de porter le hijab ou de ne pas le porter. »

La chroniqueuse Rima Elkouri, qui prête sa plume à la militante dans ce récit rédigé à la première personne, a fait sa connaissance en décembre 2018.

> (Re)lisez la chronique « Une femme de courage »

L’histoire a capté l’attention des éditions Plon, qui ont souhaité consacrer un livre à la démarche de l’Iranienne. « Je trouve souvent que les femmes sont les grandes oubliées de l’Histoire, celles du Moyen-Orient en particulier, qu’on dépeint souvent en victimes », dit Rima Elkouri. « Alors que dans les faits, des femmes comme Shaparak, il y en a beaucoup. »

Tout au long du récit de la militante, le déchirement constant entre la défense de ses idéaux et le danger auquel elle expose ses proches transparaît. Et la question que se pose inévitablement le lecteur : qu’aurais-je fait dans la même situation ?

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Rima Elkouri

« J’ai fait ce que je pensais que je devais faire, dit Shaparak Shajarizadeh. Ce mouvement m’a donné la chance de me tenir debout. Je ne l’ai pas fait pour les autres, je l’ai fait pour moi-même. » Sur la photo avec son bâton, elle affiche une expression douce et déterminée. « Mais à l’intérieur de moi, je tremblais. »

Le prix à payer est élevé. Elle a dû fuir son pays et ne reverra probablement plus jamais ses parents et sa famille restés en Iran. Son mari et elle, qui vivaient confortablement à Téhéran, doivent recommencer au bas de l’échelle au Canada. Nombre de ses amis militants sont en prison — dont l’avocate Nasrin Sotoudeh, condamnée à 38 ans de prison et qui a entamé une grève de la faim le mois dernier.

« Si toutes les femmes qui ne sont pas d’accord avec cette obligation de porter le hijab rejoignaient le mouvement — et la plupart des Iraniennes ne sont pas d’accord —, le gouvernement ne pourrait pas toutes nous arrêter. Je m’attendais à ce que les femmes, dont mes amies, embarquent dans ce mouvement comme moi… »

Ces jours-ci, elle voit grandir sa nièce de 11 ans à distance, redoutant le jour où on la forcera à porter le voile. « L’idée qu’on la forcera à porter le hijab, ça me tue… »

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

La liberté n’est pas un crime. Shaparak Shajarizadeh, avec Rima Elkouri. Plon. 224 pages.