La pièce explosive de Fabien Cloutier, créée à La Licorne en 2014, aura droit à une deuxième vie sur les planches… de bédé ! L’histoire de Steve et Carl, deux amis à la dérive, qui s’enlisent à force de faire de mauvais choix, vient d’être adaptée par Paul Bordeleau, auteur d’une « pièce graphique en 5 actes ». L’album publié par La Pastèque sera en librairie le 10 septembre.

Paul Bordeleau avoue d’emblée être un fan de Fabien Cloutier. Il a lu toutes ses pièces et prenait plaisir à écouter ses chroniques à l’émission Plus on est de fous, plus on lit – où il appréciait en particulier ses régionalismes. Il a même un vinyle des spectacles solos Scotstown et Cranbourne, qui ont révélé le « chum à Chabot » il y a une dizaine d’années. « Il n’y a que cinq exemplaires parce que le projet a été abandonné, nous dit-il. Mais je l’ai payé cher ! »

IMAGE FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

Extrait de l’album Pour réussir un poulet

Quand il a lu Pour réussir un poulet — qui a d’abord été créée à Montréal en 2014 —, il a été retourné.

« J’ai tout de suite voulu l’adapter, nous dit-il. Je voulais justement faire un album pour parler de gens qui en arrachent dans la vie, des gens que je croisais autour de moi, à Québec, des gens qui existent vraiment, mais je ne savais pas trop comment aborder ça. Quand j’ai lu la pièce de Fabien, je me suis dit : c’est exactement ça. Des gens qui s’embourbent tout le temps, à cause de mauvaises fréquentations. Je trouvais les dialogues incroyables. »

Un an après la création montréalaise, fin 2015, Paul Bordeleau croise Fabien Cloutier par hasard dans un Archambault de Québec.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON DE LA LITTÉRATURE DE QUÉBEC

Paul Bordeleau avait lu toutes les pièces de Fabien Cloutier quand il l’a croisé par hasard dans un Archambault de Québec.

Je me suis présenté, il ne savait pas du tout qui j’étais. Je lui ai dit que je voulais adapter sa pièce en bédé. Il m’a dit : “OK, écoute, on va s’écrire, on va se trouver facilement sur les réseaux sociaux…” Je lui ai écrit quelques jours plus tard, et il m’a donné carte blanche. Je pense qu’il était tellement occupé qu’il n’avait pas le temps de trop suivre le projet.

Paul Bordeleau

Fabien Cloutier s’en souvient. Au-delà de son emploi du temps chargé — en ce temps-là —, il n’était pas question qu’il se mêle du projet.

« Moi, j’étais allé au bout de ma démarche avec cette pièce-là, nous dit-il, donc ça ne me dérangeait pas du tout que quelqu’un d’autre aille au bout de sa propre démarche. Et je ne voulais pas être celui qui regarde de haut. C’était à son tour de faire la mise en scène de ce texte. J’étais super content de sa proposition. Je me suis tout de suite dit que ça se pouvait, parce que c’est une pièce pas mal cinématographique, avec beaucoup de lieux, pas évidente à lire, et je suis tombé en confiance très vite avec lui. »

Rappelons les grandes lignes de cette histoire de poulet (bio, faut-il préciser), symbole de la réussite sociale pour une classe qui peine à sortir de sa marge…

PHOTO SUZANNE O’NEILL, FOURNIE PAR LA LICORNE

Les comédiens Guillaume Cyr et Hubert Proulx interprétaient le duo formé de Steven et Carl. Denis Bernard incarnait le personnage de Mario Vaillancourt et Marie Michaud celui de la mère de Steven, Judith Gilbert.

Steven Gilbert et Carl Beaudoin, deux chums qui vivent de petits boulots, commencent à travailler pour Mario Vaillancourt, propriétaire véreux d’un centre commercial, mêlé à toutes sortes d’affaires louches. Ils commencent par ramasser du fer, mais finissent par abandonner. Pas assez payant. Vaillancourt les entraîne ensuite dans un autre projet : acheter des huîtres de Caraquet pour les revendre ensuite.

Là encore, nos deux amis se font avoir et s’endettent auprès de Vaillancourt. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas s’en sortir, mais ils font les mauvais choix et s’enlisent toujours un peu plus…

Deux personnages gravitent autour d’eux : Mélissa Beaudoin, blonde de Steven (et sœur de Carl), qui travaille comme serveuse dans un resto du centre commercial et qui méprise ouvertement son chum ; et Judith Gilbert, mère de Steven, personnage fantasque qui s’oppose entre autres aux pétitions en ligne, et qui entretient des liens énigmatiques avec Mario Vaillancourt (on finit par comprendre pourquoi).

Le texte, « comme un diamant »

Bordeleau commence le découpage de l’album en 2017. Il décide de conserver tout le texte. « S’il avait voulu le couper, il aurait fallu qu’on se parle », nous dit quand même Fabien Cloutier, dont le texte dramatique à l’humour grinçant avait mis K. — O. plus d’un spectateur.

« Il n’était pas question que je coupe », nous dit le caricaturiste et bédéiste de Québec (Le 7e vert). « Tout était là. C’était comme un diamant. Chaque mot, pour chaque personnage, était pesé », ajoute Paul Bordeleau, qui a situé l’action précisément à Québec, dans le quartier Saint-Roch, mais aussi rue Saint-Jean et dans un centre commercial du boulevard Saint-Anne, près de la basilique.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Fabien Cloutier espère reprendre le tournage de Léo à l’automne. À défaut de quoi il pourrait bien nous surprendre avec un one man show.

J’ai écrit ce texte quand j’habitais à Québec, mais la pièce ne se passait pas dans un lieu précis. Quand j’ai vu l’album, j’ai retrouvé mon conte et mes personnages. J’ai retrouvé les Galeries Saint-Anne, j’avais l’impression d’être là, pratiquement dans le quartier où je vivais. La bédé, c’est un médium que j’adore et je pense que ça peut rejoindre des gens qui n’ont pas le réflexe d’aller au théâtre.

Fabien Cloutier

La langue colorée de Fabien Cloutier, qui a remporté le Prix du Gouverneur général pour sa pièce en 2015, a été conservée mot pour mot dans la bédé, même si elle peut parfois choquer.

  • Extrait de l’album Pour réussir un poulet

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    Extrait de l’album Pour réussir un poulet

  • Extrait de l’album Pour réussir un poulet

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    Extrait de l’album Pour réussir un poulet

  • Extrait de l’album Pour réussir un poulet

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    Extrait de l’album Pour réussir un poulet

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« La langue est un personnage en soi, elle éclaire l’histoire, nous dit le dramaturge, acteur, metteur en scène et maintenant homme de télévision. C’est comme ça que les personnages parlent. Ça leur donne une couleur. Ça nous apprend des choses sur eux aussi. Et c’est pour ça que c’est important de la conserver. Leur manque de vocabulaire nous dit des choses sur eux. »

Le résultat est impressionnant. Fabien Cloutier apprécie d’ailleurs les clins d’œil à la production théâtrale, la chaise entre autres, qui apparaît dans plusieurs cases, et qui était un élément de la production théâtrale.

Dessinée en noir avec une couleur en aplat (bleu), la tragédie de Fabien Cloutier revit sur les planches de bédé. « Je suis content de voir vivre cette œuvre-là qui au théâtre est éphémère, nous dit Paul Bordeleau. Je me souviens d’être sorti du théâtre complètement sonné, c’est vraiment une pièce coup-de-poing, il ne fallait pas la perdre. »

L’album a toutes les apparences d’un storyboard de cinéma. Va-t-on un jour voir le scénario de Pour réussir un poulet transposé au grand écran ?

La question fait sourire Fabien Cloutier. C’est qu’un projet de scénario pour le cinéma (pas de lui) a déjà été soumis par le passé, mais il n’a pas obtenu de financement. « Peut-être que l’album va donner une nouvelle impulsion à ce projet ! », lance le scénariste et comédien, qui espère reprendre à l’automne le tournage de la troisième saison de la série Léo et qui n’exclut pas un retour au théâtre s’il sent qu’il a « quelque chose à dire ».

À défaut de quoi on aura peut-être droit à un one man show, laisse-t-il planer. Qui vivra verra.

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Pour réussir un poulet

Pour réussir un poulet
Paul Bordeleau et Fabien Cloutier
La Pastèque
130 pages