C'est l'histoire d'Élodie Shanta, une bédéiste française, qui a lancé Crevette chez l'éditeur québécois La Pastèque. Surprise: Crevette a été sélectionnée à Angoulême et à Montreuil, deux festivals littéraires prestigieux. Si bien qu'il a fallu retarder sa publication au Québec - les exemplaires étaient tous vendus en Europe... Élodie Shanta sera finalement au Salon international du livre de Québec, du 10 au 14 avril, pour présenter son oeuvre aussi magique que sympathique. La Presse l'a jointe avant son départ.

Comment décririez-vous Crevette, une petite orpheline qui tente d'entrer dans une école de sorcellerie?

C'est vraiment difficile. J'ai inventé les personnages il y a déjà un certain temps. Ensuite, j'ai dû attendre - c'est quand même mon huitième livre - d'être suffisamment calée en narration pour me lancer dans cette longue, longue histoire [114 pages]. C'est un peu mon album de la « maturité ».

Il y a beaucoup d'aventures dans Crevette, mais aussi une complexité dans les sentiments éprouvés par les personnages.

Oui. Les personnages humains comme Bruna et Crevette sont deux petites filles fortes, qui expriment cette force de manière différente. L'une est dans la colère et l'autre dans les pleurs, mais ce n'est pas une faiblesse. C'est ce que j'avais envie de montrer: Crevette pleure quand c'est joli, elle pleure quand elle est triste, elle pleure quand elle est heureuse. C'est sa façon d'être.

Quand le personnage de diablotin demande des nouvelles de sa mère, Crevette répond: «Bah, elle est morte.» Pourtant joviale, la fillette vit seule avec le spectre de sa mère, qui lui parle depuis son urne. Ça intéresse les enfants, ce côté morbide?

Oui, je trouve que c'est chouette de parler du deuil de cette manière-là. Le deuil semble brutal quand elle dit que sa mère est morte, mais après, on s'aperçoit qu'elle est toujours dans sa vie, sous forme de spectre. Le vrai deuil, il se passe plus tard, quand sa mère s'en va. À ce moment-là, Crevette répand ses cendres.

Comment travaillez-vous?

Techniquement? J'écris toujours tout en dessinant. Je le fais sur un carnet, de préférence pas chez moi: dans des lieux publics, dehors ou dans les cafés. Une fois que j'ai mon scénario sur papier, je fais tout sur tablette graphique. L'encrage et la couleur.

Pourquoi êtes-vous publiée à La Pastèque, une maison québécoise?

Quand j'ai monté mon dossier, j'ai regardé ma bibliothèque. J'aimais beaucoup Louis parmi les spectres et Jane, le renard et moi [parues à La Pastèque]. Je trouvais que c'était de beaux livres. J'ai envoyé un mail à cinq maisons d'édition dont j'aimais la ligne éditoriale. La Pastèque a répondu positivement et j'étais ravie, voilà.

Petite, lisiez-vous des bandes dessinées avec des héroïnes féminines?

J'aimais déjà la bande dessinée, mais c'est vrai qu'il n'y avait pas beaucoup de personnages féminins. À l'adolescence, j'ai découvert Dr Slump. Il y a un personnage féminin, mais c'est un robot! Ce qui m'inspirait quand j'étais petite, c'était Dragon Ball et Calvin et Hobbes. C'était plutôt garçon. Il n'y avait pas beaucoup de modèles.

Sympathique future sorcière

La petite Crevette rate à répétition l'examen d'entrée de l'école de sorcellerie. La trouvant en pleurs, son voisin le diablotin Joseph lui offre de l'aider à mieux se préparer, en échange d'un peu de ménage et de cuisine. Ça semble terriblement stéréotypé comme récit. Pourtant, c'est plutôt l'importance de l'entraide, de l'amitié - et du temps qu'il faut pour faire un deuil et mieux vivre ses émotions - qui en ressort. C'est charmant, surtout pour les enfants qui aiment les univers un poil déroutants.

PHOTO FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

L'autrice et illustratrice française Élodie Shanta

Crevette. Élodie Shanta. Éditions La Pastèque. Dès 7 ans.