L’écrivain américano-québécois David Homel vit à Montréal depuis 35 ans déjà. Mais son huitième et plus récent livre, Portrait d’un homme sur les décombres, est le premier publié simultanément dans les deux langues officielles.

« C’est vrai qu’il y a toujours eu une saison littéraire de décalage entre la sortie anglaise et la française, dit l’auteur d’Un singe à Moscou et de L’analyste, traducteur entre autres des romans de Dany Laferrière. Cette fois, il a même fallu que mes deux éditeurs s’entendent pour que la traduction ne devance pas la version originale ! C’est agréable que ce soit sorti la même semaine, surtout à Montréal, où nous passons d’une langue à l’autre. »

Mais on ne peut pas parler d’une réconciliation, ajoute David Homel, « parce qu’il n’y a jamais eu de rupture ». Par contre, qui dit sorties simultanées dit aussi travail simultané, situation quasi schizophrénique par moments, pendant laquelle l’auteur a pu voir les différences de culture entre ses deux éditeurs.

« Il y a des choses pour lesquelles Dimitri Nasrallah, mon éditeur chez Véhicule Press, avait des objections, mais qui passaient comme du beurre dans la poêle du côté de mon traducteur et éditeur Jean-Marie Jot. » 

Bien sûr, les deux versions ont été uniformisées, mais c’est certainement le regard de Dimitri Nasrallah, qui est aussi auteur, qui a eu le plus d’impact sur son travail.

« C’est sûr que j’ai une certaine façon de voir les codes politiques et sociaux. Dimitri a été mon jeune en résidence, il m’a conseillé. Au début, j’étais sur la défensive, mais finalement il avait raison. » 

Lui-même prof de création littéraire à Concordia, l’auteur de 66 ans a fait le test sur ses étudiants. « Je leur ai donné les premières pages de ce roman tel que terminé en 2017 et ils ont tous réagi au même endroit que Dimitri. C’était dans le regard que le personnage pose sur les femmes, sur l’apparence de sa fille. »

Cette « éducation », il constate qu’il l’a intériorisée maintenant qu’il travaille sur un nouveau projet. « J’ai mon Dimitri intérieur qui me parle. Par contre, il est stationné juste à côté de mon psy intérieur, qui est plus vieille école. »

Passage à vide

IMAGE FOURNIE PAR LEMÉAC

Portrait d’un homme sur les décombres, de David Homel

Portrait d’un homme sur les décombres est un roman dense et mélancolique dont le protagoniste, Phil Brenner, journaliste indépendant d’une cinquantaine d’années, marié et père de deux jeunes femmes, traverse un « passage à vide » sur le plan tant personnel que professionnel.

« C’est romanesque, les passages à vide, car ça oblige le personnage à une prise de conscience. Il faut qu’il se dise : “Écoute, qu’est-ce que je fais maintenant ?” » Ici, Phil, obsédé par les troubles obsessionnels de sa fille aînée, décide de l’emmener non pas se reposer dans un tout-inclus, mais en reportage en Serbie pour observer de près la crise des migrants.

« Le thème de ce livre est la famille. La maison n’est pas un champ de bataille, mais plus une scène, une scène de théâtre sans la fausseté, sans le jeu. »

L’auteur décrit les luttes de pouvoir entre les parents, dévoile quelques surprises – « Phil pense qu’il connaît sa femme et ses enfants, mais c’est tout à fait faux, bien sûr » – et s’intéresse en particulier aux relations entre parents et enfants.

« Je suis rendu à l’âge où la relation avec mes enfants est celle qui me procure le plus de satisfaction. Et je ne pense pas être le seul dans ce cas. Ils ont 31 et 35 ans, ce n’est plus comme quand ils étaient petits, mais la relation continue et c’est bien. »

De réécriture en réécriture, Portrait d’un homme sur les décombres est cependant devenu plus léger et moins centré sur le deuil et la perte, même si ce sujet est l’amorce du roman. « C’était le premier jet d’un manuscrit que j’ai jeté. Qui veut lire un livre complet là-dessus ? »

Moins d’ironie et d’excès, plus d’humanité et de tendresse, et ce, même dans la deuxième partie, qui se déroule en Serbie. « C’est le côté doux de L’analyste, qui était plus dur. »

Migrants

Dans la deuxième partie du livre, Phil Brenner part donc en reportage dans une partie du monde qu’il connaît bien et qu’il a couverte dans les années qui ont suivi l’éclatement de la Yougoslavie. Dans la vie, David Homel est tout aussi amoureux de cette région, où il retourne régulièrement depuis 20 ans.

« Mon psy là-bas me dit que j’ai une attache traumatique, dit-il en souriant. J’y ai de bons amis, qui m’aident à écrire. Et puis plus personne ne va là. »

Grâce à ses contacts, David Homel a pu observer la crise des migrants de l’intérieur, particulièrement en 2015, lorsque la frontière avec la Hongrie a été fermée.

« Il y a des scènes presque domestiques dans le livre, qui sont telles que je les ai observées. J’ai aussi voulu montrer la curiosité et l’ouverture des gens de Belgrade envers les migrants. Il y avait quelque chose de carnavalesque et d’attendrissant, sûrement pas dans la vie de ces gens, mais dans les scènes que j’ai vues. »

Dans la « détermination des migrants à continuer leur voyage quoi qu’il arrive », Phil entendra aussi l’écho de l’histoire de son grand-père ukrainien. 

David Homel souhaite qu’en lisant son livre, on puisse reconnaître qu’un homme peut écrire sur la famille et « pas juste des histoires d’horreur ». « Il y a aussi l’amitié, la tendresse, la curiosité, qui est un mot qu’on n’utilise pas beaucoup. C’est ça qui garde en vie. »

Portrait d’un homme sur les décombres. David Homel. Leméac. 268 pages.