Les expositions signées par John Zeppetelli, directeur sortant du MAC, se sont démarquées par la mise en espace d’installations à écrans multiples. Le dernier projet qu’il soutient, Phase Shifting Index de Jeremy Shaw, présenté à la Fonderie Darling, ne fait pas exception.

« Le MAC a été un pionnier à Montréal pour le cinéma élargi », souligne Zeppetelli, en faisant référence aux expositions du père de l’art vidéo, Bill Viola, ou de l’artiste britannique Isaac Julien, que le musée a accueilli dans les années 1990 et 2000.

Dès son entrée en poste, le directeur sortant du MAC a perpétué cette tradition en mettant de l’avant des œuvres telles que The Visitors, de Ragnar Kjartansson, ou encore Manifesto, de Julian Rosefeldt, qui se déploient respectivement à 9 et à 13 écrans dans l’espace.

Phase Shifting Index, du Vancouvérois Jeremy Shaw, semble, de prime abord, s’inscrire dans la lignée de cette pratique.

Celui qui a gagné le Prix Sobey pour les arts en 2016 connaissait le travail de Rosefeldt au moment où l’installation a été présentée au MAC. Il était d’ailleurs marqué par les moments de synchronicité des écrans pendant l’expérience, selon John Zeppetelli.

Les sept écrans ne se synchronisent qu’à la fin dans Phase Shifting Index. Dans la salle sombre, nous sommes mis face à de faux documentaires parascientifiques, rappelant l’esthétique de technologies du siècle dernier : film en 16 mm, VHS, etc. Surtout, l’œuvre nous déstabilise. Des personnes bougent, se font interviewer et répondent dans un anglais incompréhensible.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Phase Shifting Index, de Jeremy Shaw, présenté à la Fonderie Darling

Chaque écran est indépendant et présente des corps qui s’activent de plus en plus intensément au fur et à mesure du visionnement. On reconnaît des gestes de danse contemporaine, des entraînements, de la danse contact ou encore du street dance, mais le résultat paraît étrange et décalé.

Il faut d’emblée lire le texte d’accompagnement pour saisir tout le sens : il s’agit d’un récit de science-fiction, à « l’ère des cultures-altruistes-périphériques » au XXIe ou au XXIIsiècle.

Le film prend réellement tout son sens à la fin du cycle, lorsque la synchronisation des écrans débute. Le contenu se déplace d’une image à l’autre jusqu’à ce que l’entièreté devienne son et lumière stroboscopique, pour créer une extase collective.

Quel est donc le véritable sujet de l’œuvre ? « C’est l’idée d’atteindre un autre niveau de perception ou de tenter de comprendre ce qui se passe dans notre cerveau quand on arrive à ce niveau de perception. C’est une tentative de rejoindre un registre autre que la réalité normale à l’aide du mouvement, explique John Zeppetelli. Et l’utilisation du corps devient un véhicule avec lequel on peut atteindre l’extase spirituelle », renchérit celui qui a agi à titre de commissaire pour cette exposition.

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Phase Shifting Index, de Jeremy Shaw, présenté à la Fonderie Darling

Un travail collectif

D’abord présentée au rez-de-chaussée du Centre Pompidou, l’installation Phase Shifting Index devait être accueillie au MAC avant que l’institution ne ferme pendant la pandémie.

Après une douzaine de rencontres entre l’équipe du MAC et Jeremy Shaw, la mise en espace a pu être peaufinée pour l’exposition actuelle : la suspension des écrans, la position des enceintes et des caissons de basse, la calibration du son, le choix d’une présentation frontale des écrans, etc.

« C’est un beau travail collectif ! », souligne le directeur du MAC qui mentionne au passage la contribution importante de Denis Labelle, le chef technicien responsable de cette qualité du son et de l’image.

Ainsi reportée en 2024, Phase Shifting Index se retrouve comme un électron libre au milieu d’une programmation annuelle du musée qui met de l’avant des projets de femmes artistes, à commencer par l’exposition Velvet Terrorism : Pussy Riot’s Russia, et qui se poursuit toute l’année durant avec femmes volcans forêts torrents à partir du 11 avril prochain ainsi qu’avec la présentation d’œuvres d’Alanis Obomsawin.

Avec le départ de celui qui a accordé un grand intérêt au cinéma élargi pendant son mandat, est-ce la fin de la mise en valeur de cette pratique au MAC ? Du moins, tout porte à croire que des transformations considérables surviendront grâce à la réorganisation de l’équipe de la conservation. À suivre, donc, au cours des prochaines années.

L’exposition se tient jusqu’au 25 février à la Fonderie Darling : https://macm.org/expositions/jeremy-shaw/

L’artiste donnera une conférence gratuite en lien avec l’exposition le mardi 13 février à 18 h 30 à la Fonderie Darling.

Consultez le site de la conférence

Qu’est-ce que le cinéma élargi ?

Depuis les années 1960 et 1970, le terme est utilisé pour nommer des pratiques cinématographiques qui vont au-delà du cinéma traditionnel pensé pour un seul écran dans une salle de cinéma. Les œuvres se déploient dans des formes expérimentales, soit des projections à écrans multiples, des environnements immersifs ou des installations artistiques.

Qui est Jeremy Shaw ?

Il est un artiste originaire de Vancouver vivant à Berlin

Il a présenté des expositions au Centre Pompidou à Paris, au MoMA PS1 à New York, au Schinkel Pavillon à Berlin et au MOCA à Toronto.

Il a participé à la 57e Biennale de Venise, à la 16e Biennale de Lyon et à Manifesta 11, à Zurich

En 2016, il a reçu le Prix Sobey pour les arts.

Ses œuvres sont conservées dans plusieurs collections publiques à travers le monde, notamment celles du Museum of Modern Art de New York, du Centre Pompidou à Paris, de la Tate Modern à Londres, du Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa.