(Sept-Îles (Moisie)) Enfant rebelle de Sept-Îles, l’artiste Johanne Roussy s’est installée à Moisie pour concrétiser l’œuvre de sa vie : un centre d’artiste autogéré et autofinancé qui propose des résidences de création.

Il y avait encore de la neige sur la Côte-Nord quand La Presse a visité l’Atelier de la 8île. Mai n’avait pas encore pointé le bout de son nez et le froid ne laissait pas présager que quelques semaines plus tard, la communauté installée sur une ancienne base radar datant de la guerre froide serait temporairement évacuée sous la menace d’incendies de forêt.

L’artiste Johanne Roussy occupe depuis 2012 le bâtiment qui abritait autrefois l’église biconfessionnelle de la garnison. Une fois passée la porte d’entrée, les fidèles avaient l’option d’aller à gauche, où se tenaient les messes catholiques, ou à droite, où avaient lieu les célébrations protestantes. De nos jours, ces endroits abritent respectivement un espace de diffusion encombré de tout un bric-à-brac et un atelier, lui aussi encombré de tout un bric-à-brac.

L’Atelier de la 8île est un work in progress que l’artiste, qui se définit comme une sculpteure sociale, porte à bout de bras : elle ne reçoit aucun financement pour soutenir ce lieu où convergent des artistes de la région et d’autres venus de Montréal pour créer loin de la rumeur de la ville.

Ici, je suis en sécurité. Je peux avoir la voix que je veux. J’avais besoin d’un endroit où j’aurais toute la liberté de réfléchir sans craindre d’être punie, c’est-à-dire de me faire mettre dehors de ma job ou de perdre mon atelier.

Johanne Roussy

  • L’atelier de Johanne Roussy est aménagé à l’intérieur de l’ancienne église biconfessionnelle d’une base militaire désaffectée située dans le secteur de Moisie, à Sept-Îles.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    L’atelier de Johanne Roussy est aménagé à l’intérieur de l’ancienne église biconfessionnelle d’une base militaire désaffectée située dans le secteur de Moisie, à Sept-Îles.

  • Les horaires des célébrations religieuses sont toujours affichés dans le hall d’entrée. Les catholiques occupaient l’aile gauche et les protestants, l’aile droite.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Les horaires des célébrations religieuses sont toujours affichés dans le hall d’entrée. Les catholiques occupaient l’aile gauche et les protestants, l’aile droite.

  • Le confessionnal existe toujours dans la partie du bâtiment qui sert aujourd’hui d’espace de diffusion et de rencontre.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Le confessionnal existe toujours dans la partie du bâtiment qui sert aujourd’hui d’espace de diffusion et de rencontre.

  • Johanne Roussy a installé ses outils et son atelier dans l’ancienne église protestante.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Johanne Roussy a installé ses outils et son atelier dans l’ancienne église protestante.

  • Le secteur où se trouve l’Atelier de la 8e île était à l’époque de la guerre froide une base radar faisant partie de la Pinetree Line, opérée par le NORAD. Des baraquements, dont certains sont rénovés, existent encore de nos jours.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Le secteur où se trouve l’Atelier de la 8île était à l’époque de la guerre froide une base radar faisant partie de la Pinetree Line, opérée par le NORAD. Des baraquements, dont certains sont rénovés, existent encore de nos jours.

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Johanne Roussy a grandi à Sept-Îles, pratiquement sur la ligne de démarcation entre la réserve de Uashat et la ville des Blancs. Enfant, elle avait ce sentiment d’être l’autre, aux yeux de ses voisins innus. Son sentiment s’est transformé en curiosité et en volonté de créer des ponts. Ce qui passe pour elle par la nécessité d’interroger et de critiquer notre passé colonial.

« J’ai baptisé cet endroit l’Atelier de la 8île pour faire romantique, dit-elle. C’est mon île imaginaire à côté de Sept-Îles. L’imaginaire et le politique sont liés, par contre. L’artiste vit des insatisfactions et la mienne s’appelle Sept-Îles. Je suis un peu l’enfant rebelle des minières et de la colonisation. »

PHOTO MARIO DUFOUR, FOURNIE PAR JOHANNE ROUSSY

Manifestation contre l’uranium, à Sept-Îles

Son art est engagé, marqué par une volonté de repenser nos relations avec nos voisins autochtones et un souci pour la protection de l’environnement. « Ici, on est obligé de vivre le territoire », dit Johanne Roussy, parlant de la Côte-Nord et en particulier de Moisie. Elle se définit comme une sculpteure sociale et veut toucher au-delà de l’intime, à travers divers médiums (sculpture, installations, cinéma, performance, etc.).

Elle parle aussi d’art « relationnel », car le désir de faire réfléchir et de susciter un dialogue lui est particulièrement cher. C’était entre autres les objectifs d’une série d’actions menées avec le collectif Sept-Îles sans uranium, dont un balai de motoneiges qui, filmé du haut des airs, représentait le symbole de la radioactivité. Ce genre de geste choc qui peut attirer l’attention des médias.

Pendant quelques années, ma galerie d’art en tant qu’artiste relationnelle, c’était les bulletins de nouvelles, dit-elle. Quand on se rendait au bulletin national, on était vraiment contents, c’était comme si on se retrouvait au Musée des beaux-arts !

Johanne Roussy

Être un pont

De manière plus concrète encore, Johanne Roussy propose des résidences de création à d’autres artistes d’horizons divers. « Je rêvais de faire aimer la Côte-Nord pour que ces artistes-là puissent nous défendre, dit-elle. J’ai la conviction que les artistes peuvent changer les choses, à leur façon. »

La liste des créateurs étant passés par l’Atelier de la 8île inclut entre autres la cinéaste et autrice Anaïs Barbeau-Lavalette, la comédienne et dramaturge Pol Pelletier, le musicien Zal Sissokho et la poétesse Noémie Pomerleau-Cloutier, que La Presse a croisée sur place.

« C’est un territoire qui me parle vraiment beaucoup et où je suis bien, explique cette dernière, qui est originaire de Baie-Comeau et qui a besoin de la nature et de l’eau pour écrire. C’est aussi un lieu où je peux tester des choses. Cette fois-ci, j’ai lu les premiers jets de poèmes devant un public. Je n’aurais pas fait ça à Montréal ni à L’Ouvre-Boîte culturel de Baie-Comeau. »

Johanne Roussy est une « vraie punk », selon Noémie Pomerleau-Cloutier. Une vraie marginale. La créatrice de l’Atelier de la 8île confirme qu’elle est bien en dehors des structures établies, ce qui lui donne la liberté dont elle a besoin. « Je veux rester la fille qui reçoit des gens dans sa shop, dit-elle, qui fonctionne par invitation et rencontres fortuites. »

Visitez le site de l’Atelier de la 8île