Vous avez raté l’expo de Julie Favreau, Les intuitions, inspirée par la présence de plus en plus grande de l’intelligence artificielle ? Ou encore Biophilia, sur le thème de la crise climatique ? Pas grave ! C’est le temps de les rattraper en faisant un petit crochet par Joliette. C’est ce que nous avons fait.

L’anxiété peut être lourde à porter au quotidien, mais elle peut aussi être une source de créativité et de beauté extraordinaires si l’on se fie aux œuvres exposées au Musée d’art de Joliette dans ses deux expositions temporaires lancées à l’automne, qui se poursuivent pendant le temps des Fêtes.

Prenez Biophilia, qui évoque bien sûr notre amour de la nature et du vivant. Eh bien, pour préserver notre environnement en ces temps troubles, il faut repenser nos manières de faire, changer nos habitudes, rompre en quelque sorte avec cette idée de domination de la nature et d’exploitation des ressources jusqu’à leur épuisement, nous rappelle-t-on.

Les artistes invités à participer à cette expo ont donc chacun apporté leur pierre à cet édifice en nous invitant à nous reconnecter avec la nature.

La pièce maîtresse de l’expo est une installation de Katherine Melançon baptisée Vers un parlement du vivant. On y voit un étalage au sol de (vraies) fougères en terre, au centre duquel sont plantés trois écrans géants (en forme de téléphones). En bordure de cet aménagement de fougères, d’où surgissent des morceaux de verre qui évoquent des plaques de glace, on peut voir un petit amoncellement de pierres de charbon.

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE D’ART DE JOLIETTE

Vers un parlement du vivant est une installation qui s’intéresse autant aux origines de notre nature sauvage qu’à sa disparition progressive avec l’industrialisation de masse.

La compression des fougères dans le sol au fil du temps est à l’origine de la formation du charbon, nous indique la co-commissaire de l’expo et conservatrice de l’art contemporain par intérim, Marianne Cloutier. L’installation nous présente donc le passé, avec les fougères, et le charbon, qui est à l’origine de l’ère industrielle.

Les écrans sont animés grâce à la présence de capteurs disséminés dans la ville de Joliette, dans des lieux où il y a une activité industrielle. Ces dispositifs captent notamment l’activité du vent et du soleil et sont à l’origine des animations que l’on peut voir. Le charbon, lui, provient de la mine de Drummond, en Nouvelle-Écosse, tristement célèbre pour l’accident qui a forcé sa fermeture.

Cette installation, mais aussi l’ensemble des œuvres de Biophilia, traduit notre ambivalence par rapport à notre désir envers la nature. Parce qu’au fond, on est tellement conditionné à consommer qu’on n’en prend pas soin.

Marianne Cloutier, co-commissaire de Biophilia

Dans cette même expo, on peut voir une vingtaine d’œuvres coiffées du titre Transactions, de Joshua Schwebel. Cet artiste ontarien, qui vit aujourd’hui à Berlin, s’est servi du logiciel Dall-E pour créer des images grâce à l’intelligence artificielle – qui ont ensuite été peintes par des élèves de la Pierre Lassonde School of Fine Arts au Nouveau-Brunswick. Lisez la suite, vous allez comprendre.

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Transactions, de Joshua Schwebel

Il a demandé au système de lui renvoyer des créations de paysages de mines d’or à la manière de… Riopelle, Jean Paul Lemieux, Fernand Leduc, Alfred Pellan, etc.

« En fait, Joshua Schwebel a voulu interpeller Pierre Lassonde, qui possède beaucoup de ces œuvres qui représentent des paysages, mais qui a fait fortune dans le secteur minier, qui paradoxalement détruit des paysages, précise Marianne Cloutier. C’est un pied de nez à la philanthropie en général, parce qu’on ne s’interroge pas toujours sur la provenance des fonds qui nous proviennent des mécènes… » Subversif, vous dites ?

Dernière mention à propos de Biophilia, une projection assez déroutante de l’artiste chinois Zheng Bo, Le sacre du printemps, présentée à la Biennale de Venise en 2022, qui nous projette dans une forêt de pins suédoise où un groupe d’hommes complètement nus se livre à la nature dans un élan d’érotisme. Que ce soit en se frottant sur des surfaces de mousse ou en s’accrochant à des arbres dans une sorte de déclaration d’amour. Un phénomène appelé l’écosexualité. Il faut le voir pour le croire.

Julie Favreau et l’IA

Autre sujet d’anxiété canalisé de manière créative par l’artiste Julie Favreau, qui vit elle aussi à Berlin : la place de plus en plus grande de l’intelligence artificielle.

Inspirée par les écrits du philosophe italien Federico Campagna (qui s’est intéressé aux interactions entre les humains et les machines), l’artiste québécoise a imaginé un avenir proche où cette intelligence artificielle se matérialiserait. Elle a choisi de la représenter par une entité (blob) en suspension avec laquelle l’humain cherche à entrer en contact pour interagir avec elle.

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Extrait de la vidéo Membrane présentée dans la cadre de l’expo Les intuitions

Dans une vidéo filmée dans une forêt en Europe, Membrane, on peut voir des gens tenter de communiquer avec cette entité par leur gestuelle (plutôt que par la parole). Et dans une expérience immersive de réalité virtuelle (avec casque de RV), on se trouve soi-même projeté dans une forêt en présence de cette entité, qu’on peut suivre et tenter de capturer avec ses mains….

Nous sommes ici davantage dans l’expérience sensorielle que dans le récit, mais l’artiste a le mérite de nous faire réfléchir à cette nouvelle cohabitation avec l’IA.

« L’intelligence artificielle existe et devient une nouvelle forme de vie, explique la co-commissaire Marianne Cloutier. Ce que Julie Favreau a imaginé, c’est notre vie avec ces entités-là et nos interactions possibles avec elles. Elle a une esthétique mystérieuse, dans son travail avec les textures aussi qu’on peut observer avec ses impressions sur canevas. »

Une réflexion sur le post-humanisme, avec des airs de cabinet de curiosités, qui soulève des questions pertinentes.

Les intuitions et Biophilia sont présentées au Musée d’art de Joliette jusqu’au 14 janvier.

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