(Lac-Mégantic) Avec leurs projets de salle de spectacle, de festival, de café et d’appartements touristiques, Jérôme, Félix et Hubert Lavallée aspirent à faire de Lac-Mégantic « la plus grande des petites villes », selon la formule de leur père Stéphane. La Presse est allée à la rencontre des trois frères, pour qui la vie, c’est maintenant.

« Ça, c’est beaucoup grâce à la Chapelle. » Cette phrase, vous l’entendrez souvent de la bouche de ceux qui orbitent autour de la Chapelle du rang 1, à commencer par les frères Félix, Jérôme et Hubert Lavallée, le « ça » désignant tantôt un de leurs nombreux projets, tantôt une sorte d’esprit d’entraide solidifié par la naissance de la salle de spectacle.

Début 2017, leur père, Stéphane, devenait propriétaire de la chapelle anglicane Saint-Barnabas, construite en 1891. Il n’avait alors que le simple souci de la préserver, plusieurs des bâtiments patrimoniaux de Lac-Mégantic ayant été emportés par la tragédie ferroviaire de 2013.

Originaire de Lac-Mégantic, l’entrepreneur a connu une longue carrière dans les médias écrits (à La Tribune, à La Presse, au journal Les Affaires et, jusqu’à tout récemment, à la Coopérative nationale de l’information indépendante). En juillet 2013, il rentre dans sa ville natale pour ce qui devait ne durer que 48 heures, afin de prêter main-forte à sa communauté éprouvée. Il ne l’a plus jamais quittée.

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La Chapelle du rang 1

« Et le plus extraordinaire, le plus beau », disait-il mercredi soir dernier sur la scène de la Chapelle du rang 1, « c’est que mes trois fils, qui ne sont pas nés ici, ont maintenant chacun leur maison à Mégantic. »

La ville de leurs racines

Nés à Sherbrooke, les frères Lavallée ont grandi à Boucherville. « J’ai tout le temps dit que je venais de Mégantic, même si ce n’est pas exactement vrai », confie Hubert, 29 ans, directeur général et artistique de la Chapelle du rang 1.

Mes frères et moi, on s’est approprié Mégantic parce que c’est ici que sont nos racines et nos souvenirs d’été.

Hubert Lavallée-Bellefleur

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Stéphane Lavallée sur la scène de la Chapelle du rang 1

Transformée en salle d’une soixantaine de places, la coquette chapelle Saint-Barnabas, devenue Chapelle du rang 1, a reçu depuis sa première programmation estivale, en 2017, des artistes que vous verrez rarement dans une enceinte aussi intime, dont Ariane Moffatt, Safia Nolin, Paul Piché, Tire le coyote, Pomme et Diane Tell. Elle constitue le centre de la constellation de projets des frères Lavallée, qui comptent parmi les principaux architectes de ce qu’on appelle le nouveau Mégantic.

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Vincent Vallières en spectacle à la Chapelle du rang 1, le 28 juin dernier

Prise entre l’Estrie et la Beauce, la région de Lac-Mégantic n’a pas toujours imposé à l’esprit du reste du Québec une image claire et précise, digne de sa beauté. « Quand j’étais petit et que je disais à mes amis qu’on s’en allait à Mégantic, c’était comme si je m’en allais dans un autre pays », se rappelle Hubert Lavallée-Bellefleur. Ce qui n’est bien sûr plus du tout le cas depuis la tragédie de juillet 2013, évènement dont il est essentiel de se souvenir, mais auquel se résume souvent la ville dans l’imaginaire collectif.

« Il ne faut pas que ça devienne une destination parce que c’est la ville de la tragédie, il faut que ça devienne une destination parce qu’on s’est relevé de la tragédie », pense Félix Lavallée, 32 ans, qui, avec sa conjointe Andréanne Robitaille-Piette, dirige FÉLIX & Co, une entreprise de restauration et de remise en valeur du patrimoine bâti.

Félix et Andréanne, 32 ans, sont aussi derrière Maison Dudley, de coquets appartements de tourisme aménagés dans deux maisons patrimoniales situées à quelques pas du centre-ville de Lac-Mégantic, du bord de l’eau et de leur maison à eux, qu’ils habitent depuis 2020.

Associée pour le meilleur au plein air et au parc national du Mont-Mégantic, la région gagnerait, selon Félix, à offrir davantage de raisons aux visiteurs de faire un détour par le cœur de la ville.

Mais pour que les gens se déplacent, il faut que ce soit une destination, pas juste un passage. Il faut qu’on leur offre quelque chose de cool.

Félix Lavallée

De grand-père en petit-fils

Joints en France, où ils se trouvaient pour un mariage, Félix et Andréanne confient plancher sur un projet de petit restaurant ou de bar à vin, d’une taille semblable au Ditchfield, le café de Jérôme Lavallée et de sa conjointe Katia Derbel. Le microtorréfacteur a ouvert ses portes en décembre 2021, dans un bâtiment où, depuis les années 1960, les Méganticois se sustentaient de patates frites et de burgers.

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Le Ditchfield, le café de Jérôme Lavallée et de sa conjointe Katia Derbel

« L’autre fois, il y a un monsieur qui vient acheter du café et qui me dit : “ Faque t’es revenu faire commerçant comme ton grand-père et ton arrière-grand-père ” », raconte Jérôme, 33 ans, en préparant un cappuccino. « J’ai eu le vertige. »

L’arrière-grand-père en question, c’est Raoul, qui était cordonnier. Le grand-père, c’est le regretté Guy, bien connu à Lac-Mégantic. À la fin de sa trentaine, ce père d’une famille nombreuse recevait un diagnostic de tuberculose, à laquelle il survivra miraculeusement. Une fois remis sur pied, il fonde en 1970, dans un garage attenant à sa maison, la boucherie Chez Guy, aujourd’hui le Marché Lavallée, tenu par un de ses enfants, Richard.

En quittant le Vieux-Longueuil pour s’installer à Lac-Mégantic en mai 2020, Jérôme, qui gagnait sa vie comme photographe, et Katia, qui travaillait comme illustratrice, ne savaient pas très bien à quel projet ils se consacreraient, outre leur fils Robin, né deux mois plus tard. Après avoir jonglé à l’idée d’une microdistillerie, le couple s’est tourné vers la torréfaction.

« Quand on s’engage avec un Lavallée, on s’engage avec toute la famille », lance en riant Katia, qui rêvait d’une vie plus douce et qui l’a trouvée dans cette ville où chaque matin, il leur est possible de conduire leur fils à la garderie à pied, puis de filer ensuite au travail, avec la promesse, en fin de journée, d’une saucette dans le lac aux Araignées.

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Jérôme Lavallée et Katia Derbel

« Et ce que j’admire chez eux, poursuit Katia, c’est qu’ils ont des idées, oui, mais surtout qu’ils sont capables de les mettre en place. »

Sous le signe du réconfort

Il a beau tomber un crachin insolent sur Lac-Mégantic, la tente érigée à côté de la Chapelle du rang 1 fourmille de gens tout sourire, venus manger un hot-dog et boire une bière lors du traditionnel barbecue de début de soirée. Vincent Vallières inaugurait mercredi dernier la cinquième saison de la petite salle, que visiteront dans les prochains mois Claudia Bouvette, Ariane Roy, Gab Bouchard et Luce Dufault. Hubert Lavallée-Bellefleur est aussi derrière le festival Colline, qui accueillera en août, sous les perséides, dans un immense champ, Daniel Bélanger, Lisa LeBlanc et Jean-Michel Blais.

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Hubert Lavallée-Bellefleur

Vincent Vallières se mêle à la foule, parmi laquelle l’ancienne mairesse Colette Roy-Laroche, qui a déjà accordé quelques entrevues en prévision des 10 ans de la tragédie et qu’on entend expliquer à une amie avoir annoncé à une station de télé qu’elle ne serait désormais plus disponible.

Stéphane Lavallée la saluera chaleureusement durant son habituelle allocution précédant les spectacles, sous des applaudissements émus. « Colette, je te fais un gros câlin, tu sais comme je t’aime. »

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Vincent Vallières pendant le barbecue de la Chapelle du rang 1

Inscrite sous le signe du réconfort afin de souligner les 10 ans de « ce que vous savez » – une formule qui en dit beaucoup, employée par Stéphane Lavallée –, la saison actuelle de la Chapelle « célèbre la beauté ».

Parce que dans le plus difficile, le plus laid, le plus tragique, émerge un jour le beau. Et le beau pour nous, c’est le plaisir de ces rencontres et de se retrouver autour de la musique.

Stéphane Lavallée

Lac-Mégantic ne souhaite pas tourner la page sur la tragédie du 6 juillet 2013, ce serait de toute façon impossible. Bon nombre de ses résidants souhaitent néanmoins, plus que jamais, conjuguer la vie de leur ville au présent et au futur, plutôt qu’au passé. Il y a dans chacun des projets des frères Lavallée cette idée que la vie, c’est maintenant. Une leçon qu’avait bien assimilée leur grand-père.

« Faque on est là, dix ans plus tard », laisse tomber Vincent Vallières en montant sur scène. On est là, oui, et il n’y aurait rien de plus triste que de ne pas en profiter. Parce qu’il n’y a pas de plus belle manière d’honorer nos morts que de vivre pour vrai.

Consultez le site de la Chapelle du rang 1