La recherche et les interventions gouvernementales ont propulsé le Québec au 7e rang mondial dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA). La province dépasse ainsi Israël et la France et suit de près la Corée du Sud et l’Allemagne, selon la plus récente étude réalisée par la firme britannique Tortoise Media et dévoilée ce mercredi.

Basé sur 143 indicateurs répartis en 7 catégories, le « Tortoise Global AI Index » classe depuis 2019 les pays selon leurs forces en intelligence artificielle. Commandée par le Forum IA Québec, un organisme à but non lucratif mis sur pied par le gouvernement Legault en 2020, l’étude de Tortoise s’est penchée pour la première fois plus spécifiquement sur le Québec, en comparant la province à 62 autres pays.

« Même Tortoise a été grandement impressionnée par ces données-là, affirme Marie-Paule Jeansonne, PDG du Forum IA Québec. C’est une firme internationale très neutre, qui applique une méthodologie très rigoureuse. »

« Le Québec possède une avance très impressionnante sur de nombreux pays, y compris certains qui font le double de sa taille, confirme Tortoise Medias dans son analyse. Grâce à un écosystème d’IA florissant qui évolue dans les grandes villes du Québec, la province […] a la possibilité d’égaler, voire de surpasser, des pays notables en matière d’IA, de la Corée du Sud à l’Allemagne. »

Intelligence artificielle : le top 10

1. États-Unis 2. Chine 3. Grande-Bretagne 4. Canada 5. Corée du Sud 6. Allemagne 7. Québec 8. Israël 9. Pays-Bas 10. France

Source : Tortoise Global AI Index 2021

Gouvernements en vedette

Avec plus de 800 chercheurs et étudiants en IA, une trentaine de géants technologiques comme Facebook, Google et Microsoft qui y ont ouvert un centre de recherche et un réseau universitaire reconnus mondialement dans ce domaine, il n’est pas surprenant que le Québec ait hérité du cinquième rang mondial dans la catégorie « recherche ».

Fait moins souvent souligné, Tortoise a aussi donné une très bonne note à la « stratégie gouvernementale », tant du fédéral que du provincial. On comprend mieux pourquoi dans une seconde étude commandée par le Forum IA Québec au bureau montréalais de la firme d’experts-conseils PwC. Celle-ci a dressé un portrait plus statistique de l’écosystème. On y apprend notamment qu’entre 2017 et 2021, on a investi 800 millions de dollars de fonds publics, 293 de Québec et 520 d’Ottawa, dans la recherche et les entreprises du secteur. À cette manne s’ajoutent 1,5 milliard en fonds de capital de risque.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Paule Jeansonne, PDG du Forum IA Québec

« C’est un calcul qui n’est pas simple à faire, qui n’inclut pas par exemple tout ce qui est industrie 4.0, précise Mme Jeansonne. Et ça ne tient compte que de ce qui a été réellement investi, pas seulement annoncé, et qui a été dépensé au Québec. »

« Un bond énorme »

Là où le palmarès de Tortoise suscite l’étonnement, c’est en accordant une septième place mondiale au Québec en ce qui concerne les entreprises commerciales. Plusieurs observateurs, y compris le premier ministre François Legault, qui l’a rappelé le 3 février dernier, considèrent que le Québec traîne la patte dans le domaine de la commercialisation des technologies.

Ce n’est pas du tout l’avis de Yoshua Bengio, professeur à l’Université de Montréal considéré comme un des trois pères de l’apprentissage profond. « Il y a des faits à rétablir, affirme-t-il d’emblée en entrevue. On est partis de pratiquement rien et si on regarde les entreprises qui font de l’IA aujourd’hui, on parle de plus de 200 startup, de plus de 2000 entreprises, 600 organisations, de dizaines de milliers de personnes. C’est un bond énorme. »

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Yoshua Bengio, chercheur en intelligence artificielle et professeur à l’Université de Montréal

Les fonds de capital de risque américains ne s’y trompent pas, « ils veulent investir ici », note-t-il. « Ce qui est complètement nouveau, c’est qu’ils sont prêts à le faire dans des entreprises sans les forcer à déménager aux États-Unis. Il y a vraiment une reconnaissance dans le milieu économique qu’on a quelque chose à apporter. »

L’intelligence artificielle, selon le rapport de PwC, a ajouté 1,9 milliard au produit intérieur brut du Québec entre 2017 et 2021 pour des recettes fiscales de 400 millions pour les deux gouvernements.

« C’est un investissement à long terme. »

On ne construit pas un secteur économique en criant ciseaux. La Silicon Valley a pris des décennies à se mettre en place. On n’est pas les seuls à investir, le train avance ailleurs.

Yoshua Bengio, chercheur en intelligence artificielle et professeur à l’Université de Montréal

Investissements positifs

Là où le Québec doit s’améliorer, selon Tortoise, c’est pour son « infrastructure », qui lui vaut le 34rang mondial. C’est notamment loin du classement du Canada dans son ensemble, qui est au 17rang à ce chapitre. On inclut dans ce calcul la disponibilité d’infrastructures fiables, notamment pour l’accès à l’internet ou les capacités de supercalcul et de disponibilité de bases de données pour l’apprentissage profond, mais également des statistiques comme le nombre de téléphones intelligents par personne et la disponibilité de la 5G.

« Il faut prendre ça avec un grain de sel, estime Marie-Paule Jeansonne. L’étude Tortoise confirme tout de même qu’on a réussi à bâtir un écosystème très fort, de classe mondiale. »

Yoshua Bengio, quant à lui, estime qu’il est dans « l’intérêt collectif » que les gouvernements investissent plus dans l’intelligence artificielle, notamment associée à des gains de productivité, à la création d’emplois et d’entreprises de qualité. Son conseil : « Je pense que ce qui rendrait les investissements en technologie mieux acceptés, c’est que les gens y voient leur intérêt [...], que les investissements aillent dans les entreprises qui jouent un rôle positif dans la société. »