Facebook ment à ses utilisateurs en leur promettant une plateforme virtuelle exempte de désinformation et de propos haineux, accuse Reporters sans frontières (RSF), qui vient de déposer en France une plainte pénale contre l’entreprise pour « pratiques commerciales trompeuses ».

L’organisation de défense de la liberté de la presse, qui s’inquiète tout particulièrement de l’impact de la situation sur les journalistes, souvent pris agressivement pour cibles en ligne, espère créer un précédent judiciaire susceptible d’être répété ailleurs dans le monde.

L’objectif ultime, a expliqué mercredi en entrevue la porte-parole de RSF, Pauline Adès-Mévil, est de faire pression sur le géant de la Silicon Valley pour le contraindre à « changer de cap » et à prendre les mesures requises pour véritablement assainir le contenu mis en ligne.

L’impulsion serait d’abord de nature financière, puisqu’une condamnation pour pratiques trompeuses peut mener, note Mme Adès-Mévil, à une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel.

RSF relève en préambule de la plainte, transmise lundi au Procureur de la République, que Facebook fait grand cas dans ses publicités des ressources déployées pour exfiltrer le contenu problématique et prend des engagements fermes à ce sujet dans les « standards de la communauté », « induisant en erreur » les utilisateurs « sur ce qu’est la réalité de la plateforme ».

La plainte rappelle notamment plusieurs enquêtes et études relevant que « Facebook est un important médium de désinformation » et souligne au passage plusieurs cas concrets pour illustrer l’importance de la problématique.

Le document soutient notamment que le film Hold up, qui véhicule nombre d’informations erronées sur la pandémie de COVID-19, a largement circulé sur la plateforme après sa sortie en novembre.

Cinq messages menant à la vidéo ont été vus, au total, près de cinq millions de fois sur une période de deux mois alors qu’un message alertant l’utilisateur de la présence d’informations erronées n’est apparu qu’une centaine de fois, souligne RSF.

Les commentaires haineux aussi évoqués

La désinformation peut avoir de lourds impacts sur le plan sanitaire et est susceptible d’alimenter la défiance envers les institutions démocratiques, indique l’organisation, qui évoque à ce titre l’assaut de partisans furieux de l’ex-président américain Donald Trump contre le Capitole à Washington en janvier.

La plainte note par ailleurs que les commentaires haineux sont « omniprésents » sur Facebook et s’attarde à leur impact sur les journalistes, qui font face à des attaques particulièrement « virulentes ».

RSF évoque à l’appui de ce constat une longue série d’appels au meurtre publiés en février sur la page Facebook de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo à l’occasion de la sortie d’un numéro spécial rappelant l’assassinat en 2015 par des islamistes de 12 membres de la rédaction.

Facebook est parfaitement conscient du contenu problématique, mais « s’abstient de mobiliser les ressources » pour les faire disparaître, affirme RSF, qui soupçonne l’entreprise de tolérer le matériel problématique parce qu’il est plus susceptible d’attirer l’attention des utilisateurs.

Un porte-parole de Facebook a assuré mercredi en réponse aux questions de La Presse que l’entreprise avait une « tolérance zéro pour tout contenu préjudiciable » sur sa plateforme et qu’elle investissait « massivement » pour empêcher la diffusion de tel contenu.

La firme dit notamment avoir triplé la taille de son « équipe de sûreté et de sécurité », qui regroupe aujourd’hui 35 000 personnes, et développé un système basé sur l’intelligence artificielle pour « supprimer proactivement » les messages problématiques.

Facebook, Google et Twitter sous la loupe des élus américains

La plainte de RSF survient alors que les exploitants des principaux réseaux sociaux font face à un regain de critiques aux États-Unis en lien avec l’attaque contre le Capitole.

Le dirigeant de Facebook, Mark Zuckerberg, ainsi que des représentants de Google et de Twitter doivent répondre ce jeudi aux questions des membres d’une commission de la Chambre des représentants qui entend explorer « le rôle des médias sociaux dans la promotion de l’extrémisme et de la désinformation ».

L’organisation Avaaz a récemment publié un rapport sur Facebook identifiant plus de 250 comptes conspirationnistes ou d’extrême droite « glorifiant la violence » qui ont été suivis par plus de 30 millions de personnes durant la campagne présidentielle. Les 100 histoires trompeuses les plus populaires en lien avec l’élection ont été relayées environ 162 millions de fois sur la plateforme.

Dans une lettre adressée mercredi à M. Zuckerberg et au patron de Twitter, Jack Dorsey, les procureurs d’une douzaine d’États américains ont reproché par ailleurs aux deux dirigeants de ne pas avoir bloqué les comptes d’une douzaine de militants antivaccins « notoires ».

Les signataires de la lettre, dont le contenu a été rapporté par l’Agence France-Presse, ont prévenu que la « mésinformation » rendue disponible par leurs entreprises avait augmenté le scepticisme vaccinal et allait « causer à terme plus de morts inutiles » aux États-Unis et ailleurs.