(Paris) La recrudescence de publications sur le trafic d’enfants sur les réseaux sociaux, sous l’impulsion de la mouvance complotiste QAnon, nourrit un climat de panique et de violence aux conséquences dangereuses, selon plusieurs experts interrogés à l’AFP.

Des jeunes filles prétendument retrouvées enfermées dans des conteneurs ou piégées dans la rue avec des roses équipées d’une puce de localisation, le distributeur américain d’ameublement Wayfair accusé d’utiliser ses armoires de rangement pour dissimuler des enfants et participer à la traite d’êtres humains…

Des États-Unis à l’Afrique du Sud, le blogue de vérification de l’AFP a démenti ces derniers mois de nombreuses allégations de trafic d’enfants et d’êtres humains, abondamment relayées dans le monde anglophone.  

Une publication Facebook particulièrement virale, partagée un million de fois, a affirmé le mois dernier que 39 enfants disparus avaient été retrouvés dans une caravane dans l’État américain de Géorgie. En réalité, ces enfants ont été retrouvés en août dans 15 comtés différents, et la plupart d’entre eux n’étaient pas victimes de traite.

Ces différentes rumeurs ont alimenté les thèses de QAnon, un mouvement d’extrême droite qui défend l’idée que le président américain Donald Trump mène une guerre secrète contre une secte libérale mondiale composée de pédophiles satanistes.

« C’est une théorie complotiste soutenant Donald Trump, mais elle évoque plus largement une conspiration mondiale, un message anti-establishment auquel on peut s’identifier pratiquement n’importe où dans le monde », explique à l’AFP Julien Bellaiche, chercheur spécialisé dans l’étude des extrémismes et de la technologie.  

Né sur les réseaux sociaux en 2017, le mouvement a gagné en popularité au gré de publications massivement partagées sur Facebook et Instagram.  

Face à des contenus qu’il juge violents ou porteurs de haine, le géant Facebook a annoncé le 7 octobre le retrait de tous les comptes, pages et groupes liés à la mouvance de sa plateforme principale et d’Instagram.

Popularisé par les influenceurs 

QAnon a étendu son influence, notamment parmi un public féminin, à travers la question du trafic d’enfants, soulignent plusieurs experts.

Nombre de ces publications contiennent les mots-clics #SaveTheChildren (sauvez les enfants) ou #SaveOurChildren (sauvez nos enfants), qui sont désormais associés à QAnon.

L’ONG Save The Children a d’ailleurs alerté dernièrement sur ce mot-clic identique à son nom qui connaît un trafic « inhabituellement élevé » en ligne et sème « la confusion parmi (ses) soutiens et le grand public ».

Certains influenceurs sur Instagram ont contribué à les répandre, en reprenant les récits de Qanon dans leurs publications.

« Les comptes de ces influenceurs ont une esthétique, une image de marque qui se retrouvent appliquées sur des contenus QAnon et adoucissent les messages, les vidéos et l’imagerie traditionnellement associés à ces thèses », a récemment expliqué sur Twitter Marc-André Argentino, chercheur spécialisé dans les relations entre extrémismes et technologie à l’Université Concordia à Montréal.

« Pourtant, derrière se cache toujours QAnon et tout ce qu’il véhicule : le racisme, la désinformation sur des sujets médicaux comme la COVID-19, la violence et désormais l’impact délétère de leur appropriation du mot-clic "save the children" sur les ONG qui, elles, sauvent véritablement des vies », rappelait-il.

« Beaucoup de gens se font avoir, par compassion », souligne le chercheur Julien Bellaiche : « Mais cela peut être dangereux. Vous pouvez vous engouffrer dans quelque chose sans voir où cela peut vous mener. »

« Pizzagate »

Les influenceurs ne sont pas les seules personnalités à promouvoir QAnon : Donald Trump lui-même a parfois tenu des propos complotistes.

Dans une interview en septembre, il avait ainsi qualifié Joe Biden, son rival démocrate dans la course à la Maison-Blanche, de marionnette contrôlée par « des gens dont vous n’avez jamais entendu parler, des gens qui sont dans l’ombre ».

Il a également évoqué les partisans de QAnon, affirmant : « Ils m’aiment beaucoup ».

Ces théories du complot, parfois jugées ridicules, ont néanmoins eu de réelles conséquences par le passé.

Lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, des internautes sur le forum de discussion anonyme 4chan avaient affirmé que la candidate démocrate Hillary Clinton était impliquée dans un réseau pédophile établi dans une pizzeria de Washington.

Convaincu par cette fausse information, un homme avait attaqué au fusil d’assaut ce restaurant, sans faire de victimes.

Dans la lignée de ce « pizzagate », QAnon s’est imposé dans le paysage.

Banderoles et t-shirts arborant la lettre « Q » ont fleuri dans des manifestations anticonfinement à Berlin, Paris et Londres. QAnon affirme en effet que la pandémie a été créée pour détourner l’attention du trafic d’enfants.

Aux États-Unis, Marjorie Taylor Greene, fervente partisane de QAnon, devrait bientôt entrer au Congrès, après sa victoire aux primaires en août dans un bastion républicain de Géorgie.  

Certaines fausses informations sur le trafic d’enfants ont également circulé en Europe et en Afrique.

Des publications totalisant plus de 8000 partages sur Facebook ont récemment affirmé à tort qu’un bâtiment de la capitale administrative sud-africaine Pretoria était un haut lieu de la traite d’êtres humains.

Selon le chercheur Julien Bellaiche, le contexte actuel de pandémie réunit les conditions idéales pour la diffusion des théories complotistes.

« Pendant le confinement, les gens ont passé davantage de temps en ligne et cherché des solutions à des phénomènes qu’ils ne contrôlent pas », analyse-t-il : « Plus vous regardez de vidéos, plus vous avez le sentiment d’appartenir à une communauté. »