À l’exception de l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada, les grandes caisses de retraite du Canada se montrent indifférentes à l’égard des titres technologiques regroupés sous l’acronyme GAFA, pour Google, Apple, Facebook et Amazon.

La Caisse de dépôt est ainsi investie plus lourdement dans la société pétrolière américaine ExxonMobil (774 millions US) que dans Amazon, Apple et Facebook réunies.

Au premier trimestre 2019, la participation la plus importante de la Caisse de dépôt dans les GAFA est dans Google : elle détient pour 866 millions US d’actions de catégories A et C de sa société mère Alphabet.

La Caisse a 60 millions US d’actions d’Amazon, 136 millions US dans Facebook et 151 millions US dans Apple.

Les chiffres sont en dollars américains puisque les informations sur les participations des caisses de retraite dans les principaux titres américains proviennent des déclarations trimestrielles des principaux gestionnaires d’actif faites auprès du gendarme des Bourses américaines.

« Des incontournables »

Les titres du GAFA appartiennent au club des 10 plus importantes capitalisations boursières aux États-Unis. La valeur des actions en circulation d’Amazon s’élève à 941 milliards US ; Apple, à 914 milliards ; Alphabet, à 781 milliards US, et Facebook, à 546 milliards.

Le poids relatif de ces investissements dans le portefeuille de la Caisse reste faible, étant donné l’importance de ces entreprises dans l’économie et la taille de l’actif net de l’investisseur institutionnel, soit 310 milliards au 31 décembre 2018.

Le gestionnaire de portefeuille Carl Simard, chez GPS Medici, comprend mal ce snobisme. « Ne pas être dans les GAFA, c’est comme faire l’impasse sur l’économie d’aujourd’hui. Ce sont des incontournables, ce sont des leaders de leur industrie », dit celui qui a lui-même de bonnes positions dans Apple et Facebook.

Les Google de ce monde, tu ne vends pas ça aujourd’hui. Ce sont les nouveaux Procter & Gamble. Ce ne sont plus seulement des titres technologiques. Ce sont des titres de consommation qui ont construit de grandes marques de commerce.

Carl Simard, gestionnaire de portefeuille chez GPS Medici

M. Simard a soumis à La Presse une analyse de 12 pages sur les résultats 2018 du gestionnaire d’actif des régimes de retraite et d’assurances publics. Dans cette étude, au ton généralement positif, il déplore toutefois l’éparpillement du portefeuille d’actions de la Caisse dans 2500 titres différents. « Ils me donnent l’impression d’investir sans conviction », déplore-t-il.

« Nous sommes sélectifs », rétorque la Caisse

À la Caisse de dépôt, on se défend de bouder la technologie. « On a des participations significatives dans Alphabet, Microsoft, IBM et Alibaba, dit son porte-parole Yann Langlais-Plante. On a une participation de 3 milliards CAN dans CGI. On a des actions de Lightspeed, Hopper, Orange, Qualcomm, Oracle. Nous sommes sélectifs. Nos décisions se prennent en lien avec notre stratégie d’investissement. »

La Caisse est loin d’être la seule caisse de retraite à se montrer tiède à l’endroit des GAFA. OMERS n’a rien dans Apple et a investi moins de 1 million US dans Amazon et Facebook. Sa participation dans Alphabet s’élève à 225 millions US. Portrait semblable chez Teachers, qui boude Apple et Facebook, tout en ayant 108 millions US placés dans Alphabet et 52 millions US dans Amazon.

« Les titres du GAFA ne sont pas donnés. Google se vend à 27 fois les profits », dit Alain Chung, chef des investissements chez Claret, en guise d’explication à la tiédeur des grandes caisses à l’égard de ces titres. 

Au lieu de payer 30 fois les profits aujourd’hui, ils préfèrent peut-être financer une entreprise privée à des valeurs plus basses avec beaucoup de potentiel. OMERS n’a-t-elle pas investi dans Shopify avant qu’elle ne devienne publique en 2015 ?

Alain Chung, chef des investissements chez Claret 

« Quand l’équipe du placement privé a raison avec un placement, elle fait 25 fois son argent », dit le gestionnaire, qui a des positions de longue date dans Apple, Facebook et Alphabet.

Parmi les grandes caisses de retraite canadiennes, l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada (RPC) est l’exception en ce qui a trait à son exposition auprès des titres du GAFA. RPC a 1,8 milliard US dans Alphabet, 1,07 milliard US dans Facebook, 566 millions US dans Amazon et 255 millions US dans Apple.

« Surprenant »

« C’est surprenant. Les titres du GAFA sont les titres les plus détenus par les investisseurs institutionnels en Amérique du Nord », dit Martin Lalonde, président fondateur de Rivemont, un gestionnaire de portefeuilles au détail qui a un actif sous gestion de 50 millions. Lui-même n’en détient pas, mais il en a déjà détenu dans le passé.

« Je me demande si ces caisses ont déjà eu des titres des GAFA dans le passé et qu’elles les ont vendus depuis, poursuit-il. Si on regarde 10 ans en arrière et qu’à aucun moment la Caisse de dépôt n’a détenu du Amazon ou du Facebook, on pourrait dire qu’elle a manqué le bateau. »

Vérification faite, la Caisse a toujours déclaré une participation de moins de 200 millions CAN dans Facebook et Amazon dans les rapports annuels des dernières années.

C’est différent avec Apple. L’organisation détenait l’équivalent de 14 millions d’actions d’Apple fin 2012. (Il y a eu un fractionnement d’actions, 7 pour 1, en 2014.) Elle s’est départie de 70 % de sa position en 2013. L’avoir conservée, sa participation vaudrait aujourd’hui 2,8 milliards CAN. Elle s’élevait plutôt à 318,5 millions CAN le 31 décembre dernier.