Il y a 10 ans, le 17 mai 2009 à 4 h 24 du matin, un obscur développeur du nom de Notch lançait un jeu inachevé, Minecraft. Ouvertement inspiré d’autres jeux de l’époque, comme Infiniminer et Dwarf Fortress, ce jeu reprenait un graphisme pixelisé digne des années 80, avec une interface semblant sortir tout droit de Windows 95.

Son concept semblait voué à l’échec : offrir un monde ouvert généré de façon aléatoire où le joueur pouvait construire ce que bon lui semble, en récoltant des matériaux.

Dix ans plus tard, Minecraft figure au deuxième rang des jeux les plus vendus de l’histoire, avec 154 millions d’exemplaires, tout juste derrière Tetris.

IMAGE TIRÉE DU SITE MOJANG.COM

Minecraft ramène l’adulte aux jeux de rôle auxquels il jouait lorsqu’il était enfant, s’inventant des mondes, souligne Patric Mondou.

Des possibilités infinies

Patric Mondou, directeur créatif du studio québécois indépendant Borealys, a été un des premiers courageux, en 2009, à payer 10 $ US pour cette bête étrange.

« Ç’a été le premier jeu à élargir ce concept de “bac à sable”, où on laisse le joueur faire ce qu’il veut avec des possibilités infinies. » — Patric Mondou, directeur créatif du studio Borealys

« Je ne suis pas surpris de son succès : du moment que je l’ai vu, j’ai compris que ça répondait à un besoin qui n’était pas comblé », dit-il.

IMAGE EXTRAITE DU JEU MINECRAFT

Le jeu Minecraft, vendu à plus de 154 millions d’exemplaires, fête officiellement ses 10 ans.

Selon les plus récentes données, 90 millions de joueurs vont faire un tour dans Minecraft au moins une fois par mois. L’obscur développeur, un Suédois dont le vrai nom est Markus Persson, a vendu son bébé à Microsoft en septembre 2014 pour la rondelette somme de 2,5 milliards US. Sa fortune personnelle est aujourd’hui estimée par Forbes à 1,5 milliard US.

À l’assaut de l’école

Surtout, Minecraft est devenu plus qu’un jeu. C’est aujourd’hui une plateforme où la créativité de millions d’artistes en herbe s’exprime pour reproduire des monuments, des villes ou des mondes imaginaires.

Une des utilisations les plus profitables est liée à l’éducation : on compte des milliers d’écoles dans le monde qui ont associé Minecraft à un projet éducatif, notamment aux États-Unis et en Suède. Une version spécialisée du jeu, Minecraft : Education Edition, a d’ailleurs été lancée en janvier 2016. Au Québec, Thierry Karsenti et Julien Bugmann creusent le sujet depuis 2017, et ont notamment publié l’an dernier les résultats d’une étude auprès de 118 élèves du primaire qui avaient utilisé Minecraft. Ils avaient été recrutés, avec l’accord de leurs parents, dans le cadre d’un programme appelé Minecraft Master où ils devaient accomplir 40 tâches différentes.

« Concrètement, en mathématiques, les élèves qui ont participé à ce programme montraient des résultats significativement plus élevés », résume Thierry Karsenti. Une des constatations qui l’ont surpris, c’est que les élèves ont en outre développé de la collaboration et de l’entraide entre différents groupes. « Ce n’était pas prévu au programme. »

Un jeu d’enfant

Une des raisons de ce succès, analyse-t-il, c’est que les jeunes élèves n’avaient pas besoin d’être forcés à jouer. « Beaucoup de jeux utilisés en classe sont plutôt ennuyants. Avec Minecraft, c’était loin d’être le cas. »

IMAGE TIRÉE DU JEU MINECRAFT

Minecraft est souvent décrit comme un jeu de Lego virtuel.

Il n’est pas difficile pour quelqu’un qui n’est pas un mordu de comprendre l’attrait d’un jeu comme Minecraft, estime Patric Mondou.

« C’est le jeu créatif qui va le plus chercher l’instinct du jeu de rôle qu’on avait comme enfant. Manipuler des jouets, des G.I. Joe, construire des mondes avec son frère, son voisin, son cousin, ce sont des choses qu’on faisait et qui ne se retrouvaient pas dans le jeu vidéo. » — Patric Mondou, directeur créatif du studio Borealys

Le directeur créatif n’hésite pas à reconnaître que le jeu vedette de son studio, Mage of Mystralia, un des beaux succès de la scène indépendante québécoise, s’inspire de Minecraft. Et il ne s’agit manifestement pas du seul exemple. « Dans les années qui ont suivi la sortie de Minecraft, on a vu plusieurs jeux apparaître avec cette mécanique de survie qu’on ne voyait presque pas avant. Les mondes ouverts, aujourd’hui si populaires, ça vient un peu de là. Fortnite, dans le fond, c’est la continuité de ça. »

Comment ça marche ?

Minecraft est souvent décrit comme un jeu de Lego virtuel. Le point de départ, c’est qu’il n’y a pas de guide d’utilisation : vous devez comprendre par vous-même les règles du jeu ou, si vous êtes impatient, grappiller des conseils sur l’internet. L’aventure commence avec la création de toutes pièces d’un monde dans lequel votre avatar se promène. Il existe plusieurs façons de jouer, notamment en Spectateur où on se promène dans les mondes déjà créés par d’autres ou en Créatif, où on se contente de construire ce qui nous plaît, mais la plupart des joueurs optent pour le mode Survie. Ici, le défi consiste à récupérer des matériaux de toutes sortes — bois, métal, charbon, bijoux, nourriture — pour construire un abri afin de se protéger de zombies apparaissant à la nuit tombée. Le monde est généré au fur et à mesure qu’on l’explore, à base de gros cubes d’un mètre sur un mètre. Plus on dispose de matériaux en stock et d’expérience, plus les possibilités de construction se complexifient.

Le cas Markus Persson

Si Minecraft a contribué au bonheur de quelques dizaines de millions de personnes, ce n’est manifestement pas ce qui est arrivé à son créateur, Markus Persson. Dès 2011, le jeu atteint le plateau du million d’exemplaires vendus et le développeur, qui a fondé cette année-là le studio Mojang, est vite excédé par le poids des attentes de la communauté des joueurs. Après avoir vendu son bébé à Microsoft en 2014, Persson en profite pour mener la belle vie, acquérant une maison de 70 millions US à Beverley Hills et faisant l’actualité avec ses fêtes tapageuses. En 2015, il écrit sur Twitter qu’il ne s’est jamais senti aussi seul, puis multiplie les insultes sur les réseaux sociaux. Le 29 avril dernier, Microsoft a annoncé dans le magazine Variety que Persson ne ferait pas partie des célébrations pour les 10 ans de Minecraft.

Quatre projets mémorables

Quelques mondes construits dans Minecraft qui valent le détour.

Lieux historiques de Montréal

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal, des élèves de l’école primaire Pointe-Claire ont utilisé le jeu Minecraft pour reconstituer des lieux historiques de la métropole.

La commission scolaire Marguerite-Bourgeoys a trouvé une façon efficace d’impliquer les élèves dans les célébrations du 375e anniversaire de Montréal : leur demander de reproduire des lieux historiques dans l’environnement Minecraft. En tout, 37 classes de la 3e à la 6e année ont collaboré pour bâtir des édifices d’époque, dans le cadre d’un exercice qui a rapidement dépassé la simple reproduction graphique : leur projet a finalement englobé les cours de français, de mathématiques et d’éthique.

Stade olympique et Centre Bell

Un amateur manifestement très patient et plutôt doué, qui s’affiche sous le nom de DarkSideofQuebec, a reproduit deux des édifices sportifs emblématiques de Montréal, le Stade olympique et le Centre Bell. Le résultat est impressionnant, même si l’« artiste » reconnaît qu’il n’a jamais mis les pieds dans l’amphithéâtre du Canadien. Les connaisseurs apprécieront la minutie de l’intérieur, notamment les vestiaires du Centre Bell et les gradins du Stade.

Palais d’hiver

IMAGE TIRÉE DU SITE MOJAN.COM

Le Palais d’hiver de Saint-Pétersbourg est considéré par de nombreux joueurs comme la reproduction la plus accomplie dans Minecraft.

Ce monument historique russe, joyau de la ville de Saint-Pétersbourg, est devenu le projet central de milliers de joueurs de Minecraft sur un forum de Reddit. Beaucoup d’entre eux ont notamment collaboré à la même construction, qui a été désignée par nombre d’observateurs comme la reproduction la plus accomplie dans Minecraft. Cela dit, la compétition est féroce pour ce titre entre les nombreuses versions du Taj Mahal, de la tour Eiffel et même de King’s Landing (Port-Réal en français), de la série Game of Thrones.

Jean-de-Brébeuf

En 2014, cinq élèves du vénérable collège Jean-de-Brébeuf, à Montréal, ont un projet spectaculaire pour leur dernière année : reproduire leur alma mater, avec le plus de détails, dans Minecraft. Pendant deux mois, à raison de trois soirs par semaine, ils ont bâti la façade, fignolé les détails du décor intérieur, bâti l’ancienne chapelle « avec ses centaines de détails » tout en respectant les dimensions. Ils ont tiré de ce projet une vidéo de 20 minutes diffusée sur YouTube, qui a nécessité 8 heures d’enregistrement en accéléré.