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La firme Spruce Point Capital est reconnue pour ses ventes à découvert et ses rapports négatifs sur les entreprises qu’elle cible. Pourquoi cette pratique n’est-elle pas considérée comme une manipulation de marché ?

Martin Crête

L’approche adoptée par les vendeurs à découvert comme Spruce Point Capital – qui s’en est tout récemment pris à Saputo – n’est pas à l’abri de la controverse. Mais il ne faut pas oublier qu’elle peut faire contrepoids à un optimisme potentiellement excessif sur les marchés.

C’est ce que rappellent les autorités en précisant que les vendeurs à découvert militants annonçant publiquement une position de vendeur sur l’action d’une entreprise peuvent fournir de nouveaux renseignements aidant à faire en sorte que le cours boursier reflète de plus près la valeur sous-jacente d’une action.

Les autorités réglementaires rappellent aussi qu’afin de réussir sa manœuvre, un vendeur à découvert militant doit, à tout le moins, jouir d’une certaine crédibilité et que sa théorie doit soulever suffisamment de doutes au sujet d’une entreprise pour convaincre les actionnaires existants de vendre leurs actions et, potentiellement, d’autres investisseurs de vendre le titre à découvert ou de ne pas l’acheter.

Si un vendeur à découvert atteint son objectif, cela signifie donc que sa théorie a convaincu le marché et provoqué une baisse du titre.

Si toutefois un investisseur se livre à des activités risquant de tromper d’autres investisseurs ou destinées à manipuler artificiellement le cours boursier d’une entreprise, l’intégrité des marchés financiers pourrait être compromise.

« Il n’est pas interdit pour un vendeur à découvert de produire un rapport et d’exprimer publiquement une opinion négative sur un titre boursier. Si le rapport est basé sur des faits, la publication n’est en rien une tentative de manipulation. Si cependant les faits avancés sont faux et visent à faire bouger le prix d’une action, c’est une tout autre affaire », commente le gestionnaire de portefeuille Lucas Blouin, de la firme Medici.

PHOTO FOURNIE PAR MEDICI

Le gestionnaire de portefeuille Lucas Blouin, de la firme Medici, de Saint-Bruno

« Généralement, les vendeurs à découvert professionnels sont au fait des lois et peuvent surfer sur les limites de ces dernières. Certains peuvent être tentés d’exagérer les conséquences potentielles découlant de problèmes ou de menaces rattachés à une entreprise. En utilisant un langage soigneusement choisi et en divulguant leurs positions dans leur rapport, ils évitent généralement de se mettre dans le pétrin », précise-t-il.

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sont conscientes qu’il semble exister une perception selon laquelle la vente à découvert militante est en hausse au pays et qu’elle joue un rôle négatif sur les marchés. À un point tel que des consultations ont été menées durant la pandémie afin de voir si une intervention réglementaire s’imposait.

Les ACVM soulignent dans un récent document que si le militantisme actionnarial traditionnel est une pratique bien acceptée et majoritairement considérée comme un effort en vue d’améliorer la valeur réelle des entreprises pour les actionnaires, le militantisme des vendeurs à découvert est souvent perçu différemment.

« Les vendeurs à découvert activistes soutiennent qu’ils créent de la valeur en contribuant à l’efficience des marchés. Certains vont jusqu’à décrire leur activité comme un mécanisme de défense de première ligne contre la fraude et les pertes qui s’ensuivent. »

Les ACVM notent que les vendeurs à découvert militants disent cibler des sociétés canadiennes parce que le Canada est un « terreau fertile » pour les délits d’entreprises et que leurs travaux de recherche jouent un rôle important dans la formation des cours en dévoilant de nouveaux renseignements.

Peu de mécanismes

Toujours selon les autorités, les entreprises ciblées peuvent être réticentes à porter plainte à propos de comportements qu’elles estiment problématiques dans le contexte d’une campagne, par crainte de provoquer un examen approfondi des allégations formulées.

Au Canada, la législation en valeurs mobilières ne prévoit pas de mécanisme permettant aux émetteurs ou aux investisseurs de réclamer des dommages-intérêts à des vendeurs à découvert militants pour des déclarations faites dans le cadre de campagnes.

En matière de sanction, les ACVM disposent d’outils pour s’attaquer aux activités de vente à découvert militante qui sont des cas de fraude, de manipulation du marché ou de diffusion de déclarations trompeuses dans le marché. Toutefois, pour bon nombre d’infractions à la législation en valeurs mobilières pour déclarations trompeuses, il faut établir la preuve d’un comportement illégal et de l’importance de la déclaration et de son incidence sur le marché.

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