Une courtière immobilière de Candiac, Anna Estephan, a manipulé ses clients pour acheter leur propriété, conclut le tribunal de sa profession, qui suspend son permis pour neuf mois et la condamne à payer 50 000 $ d’amende.

Anna Estephan, de l’agence immobilière du même nom à Candiac, « est une artiste dans l’art de semer et d’entretenir la confusion dans l’esprit de ses clients », affirme dans sa décision le comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) qui ne mâche pas ses mots à son sujet. « Son comportement est malhonnête et ses propos mensongers. »

Jugée à la fin mai 2023 pour deux transactions immobilières au cours desquelles elle « a favorisé ses propres intérêts au détriment de tous et en violation flagrante de ses obligations déontologiques », Mme Estephan voit maintenant son permis suspendu pour un total de neuf mois. Le tribunal de sa profession lui impose aussi une amende qui s’élève à 40 000 $ pour les six chefs d’accusation contre elle et 10 000 $ au total pour les deux chefs contre son agence immobilière.

Le comité en est venu à la conclusion que la défense de Mme Estephan « n’était qu’une imposture fondée sur de la pure fiction ».

Deux propriétés résidentielles en jeu

Anna Estephan, qui raconte dans une vidéo sur le site de son agence que si elle n’était pas courtière, elle ferait n’importe quel autre emploi dans lequel elle pourrait aider les gens, a plutôt « abusé de la confiance et de la vulnérabilité de ses clients », selon le comité.

En 2020, elle convainc un couple de la laisser le représenter, alléguant que le terrain de sa maison à Saint-Constant est prisé à cause de la construction dans la région. Le couple, qui soutient avoir eu pleinement confiance en la courtière, signe un contrat de courtage qui le lie à elle pour trois ans avec une commission à la vente de 10 %, un pourcentage standard dans ce type de transaction, lui assure-t-elle.

La courtière ne montre pas de comparables à ses clients pour fixer le prix de vente à 800 000 $, elle n’affiche pas la propriété sur Centris et n’installe pas de pancarte à vendre devant la maison. Lorsqu’un constructeur du secteur fait une promesse d’achat et insiste pour donner 800 000 $ aux propriétaires, Mme Estephan ne présente pas la promesse d’achat.

Comme le couple n’a pas de nouvelles de la courtière, il décide de sonder l’un des promoteurs immobiliers qui construisent aux alentours. Mme Estephan, qui a eu vent de la conversation, contacte le couple et propose d’acheter sa propriété, enfreignant du même coup la Loi sur le courtage immobilier du Québec.

Le prix d’achat est déterminé en fonction de la commission de 10 % que la courtière n’a pas reçue, soit 720 000 $, ce qui enfreint un autre article du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité. Le couple fera par la suite une demande d’assistance à l’OACIQ.

« Son plan est délibéré. L’intimée veut le terrain et elle l’aura », analyse le comité.

Anna Estephan s’est une deuxième fois placée en conflit d’intérêts en déposant une offre d’achat pour la maison à Saint-Philippe-de-La Prairie de deux clients qu’elle devait représenter en 2019.

Lors de la signature du contrat de courtage avec eux, le prix de vente est fixé à 424 000 $, mais les vendeurs précisent que leur prix plancher est de 380 000 $. Encore une fois, Anna Estephan retient ses clients avec un contrat de trois ans.

Peu de temps après, la courtière est si incompétente aux yeux des vendeurs qu’ils veulent s’en débarrasser et sont même prêts à lui payer 5000 $ de compensation. Anna Estephan rétorque plutôt qu’elle va acheter la propriété à leur prix plancher.

Par la suite, lorsqu’ils demanderont d’être accompagnés par un courtier indépendant pour finaliser la transaction, Mme Estephan refusera.

S’estimant « pris en otage » par Mme Anna Estephan, le couple fera deux fois une demande d’assistance à l’OACIQ pour réclamer de l’aide.

Le comité est catégorique, Anna Estephan a utilisé des informations stratégiques – le prix plancher des vendeurs –, n’a aucune loyauté envers eux et n’a pas évité de se placer en conflit d’intérêts, d’autant plus qu’elle agissait à l’époque comme promoteur immobilier et faisait de la prospection dans le secteur de Saint-Philippe.

Anna Estephan, qui n’était pas de cet avis lors des audiences, déclare dans une vidéo publiée sur le site de son agence après les faits pourquoi elle est courtière : « parce que les gens ont encore besoin de moi, de mon travail, de mon expertise pour changer leur vie ».

Durant la suspension de son permis, la courtière qui exerce principalement sur la Rive-Sud de Montréal, notamment à Brossard, Candiac, Saint-Constant et Saint-Philippe-de-La Prairie, pourra transférer ses contrats à sa fille Samira, courtière au sein de son agence Anna Estephan.