Symbole de la relance du Plan Nord, la mine de diamants Renard fera une fois de plus perdre des millions aux contribuables. Dans le rouge, elle cesse ses activités et se place à l’abri de ses créanciers. Pour le gouvernement Legault, « cette mine-là, c’est fini ».

C’est la deuxième fois en quatre ans que Stornoway se tourne vers la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Environ 425 salariés ont appris, vendredi, qu’ils perdaient leur gagne-pain. La minière tentera de trouver un nouveau propriétaire. Chose certaine, Québec, qui encaissera de nouvelles pertes, ne remettra pas d’argent.

« Je pense que cette mine-là, c’est fini, a lancé le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, en marge d’une annonce économique à Candiac. C’est triste. Quand on extrait des minéraux […] et qu’on [les] exporte, on est vulnérable au prix de la commodité. C’est ce qui est arrivé avec Stornoway. »

Situé sur le territoire Eeyou Istch, dans le Nord-du-Québec, le complexe minier avait redémarré ses activités en 2020. Diamants Stornoway appartient à Osisko, Investissement Québec (IQ), la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et Triple Flag.

Après que la société eut généré des profits de 42 millions en 2022, la situation financière s’est rapidement détériorée. À la fin de septembre, les pertes totalisaient 13 millions, selon des documents judiciaires consultés par La Presse. Les dettes atteignaient 310 millions. Les principaux créanciers étaient le bras financier de l’État québécois (120 millions), Osisko (59 millions) et la CDPQ (25 millions).

Le prix du diamant a reculé en réaction à la concurrence des pierres synthétiques populaires auprès des milléniaux en âge de se fiancer. Le marasme est tel que l’Inde, important centre mondial de polissage, a imposé un moratoire sur les importations de diamants bruts jusqu’au 15 décembre dans l’espoir de disposer de son stock. C’est ce qui a porté le coup de grâce à Stornoway.

« Historiquement, l’Inde a acheté 90 % des diamants bruts sur le marché mondial, explique Stornoway. Ce gel unilatéral et permanent des importations a entraîné une perte de revenus considérable et a sérieusement entravé notre capacité à vendre les stocks à des prix acceptables et rentables. »

Alors que le prix moyen d’un diamant de joaillerie frôlait les 120 $ US le carat en mars dernier, il avait plongé pour se négocier aux alentours de 81,50 $ US le carat en septembre. Stornoway tablait sur un prix moyen de 112,50 $ le carat pour l’année. Au premier semestre de 2023, Stornoway avait vendu 938 000 carats à un prix moyen de 110 $ US par carat (148 $ CAN). Son coût de production n’est pas public. En 2022, le prix moyen obtenu était de 125 $ US.

Un choc

À la minière, le président et chef de la direction, Patrick Sévigny, n’était pas disponible pour accorder des entrevues, vendredi. À Chibougamau, c’est la surprise et la stupéfaction. Sa mairesse, Manon Cyr, affirme qu’il n’y avait pas eu de signaux avant-coureurs.

« Environ 120 des emplois de Stornoway sont occupés par des résidants de la Jamésie et de la Baie-James, a-t-elle souligné, au cours d’un entretien téléphonique, dans lequel elle a souhaité que la mine survive. Le diamant procure une diversité minérale à notre région, surtout présente dans l’or et le cuivre, qui rend l’économie régionale plus résiliente. »

Il ne restera que 75 salariés sur le site de la mine pour éviter une détérioration des installations.

Pour Michel Jébrak, professeur du département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM, le complexe minier devrait générer de l’intérêt. Tout est une question de prix.

« Le Canada a ouvert de belles mines de diamants, dit-il. C’est un champ de kimberlites diamantifères qui a été découvert à Renard. On y trouve des pierres de qualité. C’est positif. Avec la route qui existe, les actifs existants sur place et un escompte important, ça va intéresser du monde. »

Gouffre financier

Le premier naufrage de l’entreprise avait déjà coûté plusieurs dizaines de millions à IQ, à la CDPQ ainsi qu’au Fonds de solidarité FTQ. En date du 31 décembre dernier, le placement de la CDPQ dans la minière ne valait pas plus que 5 millions.

« La Caisse accompagne Stornoway depuis le tout début et a accompagné l’entreprise à travers les différents défis des dernières années, souligne sa porte-parole, Kate Monfette. Nous allons laisser le processus légal suivre son cours. »

Ces sommes perdues par les trois institutions ne tiennent pas compte du financement public d’environ 400 millions visant à construire le tronçon routier permettant de relier la minière à la route 167.

Pertes publiques de la première débâcle de Stornoway

  • Investissement Québec : 110 millions
  • Caisse de dépôt et placement du Québec : 42 millions
  • Fonds de solidarité FTQ : 50 millions

Sommes actuellement à risque

  • Investissement Québec : 120 millions
  • Caisse de dépôt et placement du Québec : 25 millions

La filière batterie n’est pas à risque

Selon le ministre Fitzgibbon, l’échec de Stornoway prouve que l’approche intégrée de son gouvernement envers la filière lithium et des autres minéraux critiques est de loin préférable à ce qu’on voit dans l’extraction d’autres minéraux exportés sans être transformés ici. « Convertir au Québec les minéraux critiques » est « la bonne stratégie », dit-il, puisque la production minière est intégrée à toute une chaîne d’approvisionnement, en aval, donc moins sensible aux aléas des marchés que les minéraux comme « le diamant, qu’on mine et qu’on envoie » ailleurs à des prix déterminés aux grandes Bourses diamantaires comme Anvers, Londres, New York, Tel-Aviv et Bombay. « C’est un marché de commodités. Ça n’arrivera pas avec le lithium », a dit le ministre.

Denis Arcand, La Presse

En savoir plus
  • 2016
    Année où la mine de diamants a été inaugurée
    gouvernement du Québec
    52 %
    Pourcentage de Stornoway détenu par Investissement Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec
    LA PRESSE