Le PDG de Groupe Sélection, Réal Bouclin, a témoigné pour la première fois dans le cadre de la restructuration de l’entreprise. Dans une audition tendue, il a demandé plus de temps à la cour pour liquider une partie de ses actifs, sous le regard plus que sceptique du contrôleur responsable.

Quant au juge, il s’est dit « hautement préoccupé » par le manque de collaboration entre les parties. Il les a appelées à « ramer dans la même direction » pour « redresser le cap ».

Le contrôleur responsable, PricewaterhouseCoopers (PwC), réclame de son côté la mise aux enchères rapide des actifs de l’entreprise, qui s’est placée en novembre sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Interrogé par son avocat, Réal Bouclin a vertement critiqué l’action du contrôleur, qui « ne croit pas » au redressement de Sélection, selon lui.

« J’avais l’impression qu’on aurait été accompagnés par PwC. Ce n’est pas le cas », a-t-il lâché.

Selon lui, les équipes du contrôleur et de Sélection travaillent chacune de leur côté et les communications sont minimales.

« Il n’y a jamais personne qui s’installe à travailler et à essayer de construire puis améliorer quelque chose. C’est juste ‟T’es rendu où ? T’as fait ça ? As-tu payé ça ?” C’est juste le reporting qui se fait. »

Son avocat lui a demandé si PwC le consultait quant aux orientations stratégiques dans le dossier. « Non, a répondu Réal Bouclin. Est-ce que j’ai l’information quand c’est fait, ou quand c’est en train de se faire ? Oui. »

Des enchères, mais à quelle vitesse ?

Les parties s’entendent pour dire que des actifs doivent être mis aux enchères pour financer le redressement de l’entreprise. Sélection se départirait ainsi d’immeubles et chercherait à vendre des participations dans certains autres actifs, dans le cadre d’un processus de vente et de sollicitation d’investissement.

PwC entend mettre l’ensemble des immeubles et terrains en vente, avec des transactions qui clôtureraient dès le 30 juillet. « Cette compagnie-là consomme des liquidités de manière importante », dit le contrôleur de PwC, Christian Bourque, qui les évalue entre 8 et 9 millions par mois.

Sélection ne l’entend toutefois pas de cette oreille. Le groupe voudrait garder certains actifs et mettre en vente d’autres résidences petit à petit, jusqu’en février 2024.

« On comprend qu’il faut monétiser des actifs, a convenu Réal Bouclin en audition. Mais on n’a pas à liquider, il faut arriver avec un processus ordonné. »

Pour lui, mettre l’ensemble des propriétés de Sélection sur le marché en même temps est « impensable ». « Même avec de l’aide, les équipes ne pourront pas répondre à toutes les questions. »

Groupe Sélection « 2.0 »

Le patron a tenté de défendre sa vision d’un Groupe Sélection « 2.0 », allégé après la revente d’une partie de ses actifs.

Réal Bouclin dit avoir signé une première lettre d’intention avec un partenaire potentiel la fin de semaine dernière, sans donner de détails. Il n’a toutefois pas mis le contrôleur au courant de ses démarches.

Plus concrètement, l’entreprise veut trouver un nouveau partenaire financier qui lui permettrait notamment de poursuivre son projet de construction Mirabel Liva.

Réal Bouclin souhaite aussi maintenir ses activités de gestion dans neuf immeubles détenus en majorité et conserver sept terrains stratégiques pour des projets, notamment dans l’ancienne brasserie Molson, dans l’est du centre-ville de Montréal.

Sélection voudrait aussi maintenir ses activités de construction générale.

Par ailleurs, le Groupe dit avoir pris des mesures pour améliorer sa gestion, après les sévères critiques que PwC a formulées à l’automne sur la tenue de ses finances.

Mauvaise lecture pendant la COVID-19

Invité à expliquer ce qui avait mené Sélection à se placer sous la protection de la LACC, Réal Bouclin a expliqué que « la crise est partie de la pandémie ». « C’est mon erreur », dit-il, après avoir expliqué comment il a maintenu les projets de construction sans s’ajuster à l’inflation dans la construction et à la hausse des taux d’intérêt.

Dans un interrogatoire tendu avec l’avocat de PwC, le patron a finalement dû reconnaître que ses partenaires l’avaient lâché un à un.

Talonné par l’avocat du contrôleur, Alain Riendeau de Fasken, Réal Bouclin a reconnu qu’il n’avait pas de réel plan d’affaires pour son Groupe Sélection « 2.0 ». « Est-ce que j’ai l’ensemble des éléments pour en faire un ? Oui. »

« Je vais comprendre de votre réponse que vous n’avez pas de plan d’affaires », a conclu l’avocat de PwC.

Un juge inquiet

Le juge Michel Pinsonnault n’a pas aimé ce qu’il a entendu mardi. « Ça n’évolue pas nécessairement dans la direction qu’on espérait », dit-il.

Il a rappelé que le but ultime, « c’est que l’entreprise puisse émerger du processus de redressement et poursuivre ses opérations sur une base plus saine ». Il a donc invité PwC et Sélection à partager l’information, « sans penser que ça va travailler contre l’autre ».

« Il faut redresser littéralement le cap. Il me semble qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien. »

Le juge n’a toujours pas tranché sur le processus d’enchères des actifs de Sélection. Les auditions doivent reprendre ce mercredi.