Paper Excellence, qui s’apprête à prendre le contrôle de Produits forestiers Résolu, est structurée de manière si opaque qu’il est difficile de savoir qui sont ses véritables bénéficiaires, s’inquiète Greenpeace dans un rapport. L’organisme écologiste établit également des liens entre l’entreprise et d’autres sociétés aux pratiques environnementales peu reluisantes en Asie.

En quelques années, Paper Excellence s’est imposée dans l’industrie forestière canadienne avec plusieurs transactions. Sa plus récente prise – Produits forestiers Résolu – devrait être officialisée le 31 octobre lorsque les actionnaires de la plus importante compagnie forestière au Québec se prononceront sur la transaction de 2,7 milliards US annoncée en juillet dernier.

« Cette compagnie va devenir l’une des plus grandes sociétés forestières au Canada et nous ne savons pas grand-chose sur Paper Excellence, affirme Priyanka Vittal, avocate chez Greenpeace Canada. Il est important que les communautés et gouvernements sachent qui exploite la forêt sur leur territoire. »

L’organisme dit avoir rédigé son rapport après avoir épluché plusieurs centaines de documents publics disponibles au Canada, en Indonésie, aux îles Vierges britannique ainsi qu’ailleurs dans le monde pour tenter de comprendre la structure de Paper Excellence. Le rapport contient également les réponses de l’entreprise, qui se dit en désaccord avec les conclusions de l’organisme environnemental.

Greenpeace a sollicité des commentaires de Résolu, qui a croisé le fer à maintes reprises avec le groupe écologiste ces dernières années, mais la compagnie a dirigé les questions vers son futur propriétaire. Paper Excellence n’avait pas répondu aux questions de La Presse, lundi.

Fondée en 2007, Paper Excellence est établie en Colombie-Britannique, mais appartient à l’homme d’affaires indonésien Jackson Widjaja. Celui-ci est issu de la famille derrière le conglomérat Sinar Mas, dont la division de pâtes et papiers Asian Pulp and Paper (APP) est un géant mondial du papier en Indonésie ainsi qu’en Chine.

Sinar Mas et sa filiale ont fait l’objet de reportages, notamment de l’Associated Press, qui démontraient que les pratiques du conglomérat avaient mené à la destruction rapide de milliers d’hectares de forêt en Indonésie. Greenpeace estime que Sinar Mas et APP entretiennent des liens avec Paper Excellence, ce que dément l’acquéreur de Résolu.

Qui sont les bénéficiaires ?

Au Canada, l’enquête de Greenpeace allègue que des scieries de Paper Excellence sont détenues par des sociétés enregistrées dans des endroits comme les îles Vierges britanniques, les Pays-Bas et la Malaisie. Une structure similaire est utilisée pour les actifs de l’entreprise dans des pays comme les États-Unis, le Brésil et la France. Difficile d’y voir clair et de conclure à 100 % que M. Widjaja est l’ultime bénéficiaire de toute cette structure.

« Une structure d’entreprise qui peut dissimuler le ou les bénéficiaires ultimes de cette manière n’est pas en soi une preuve de criminalité ou de méfait, mais elle peut être le signe d’un risque qui peut justifier un examen minutieux », souligne le rapport.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Siège social de Résolu, rue De La Gauchetière Ouest, à Montréal. L’entreprise deviendra propriété de Paper Excellence.

En s’appuyant sur une copie de l’entente, Greenpeace affirme que Paper Excellence a bénéficié, en 2010, d’un prêt de 17,5 millions US obtenu auprès d’une banque chinoise détenue par Sinar Mas, à un taux de 0,1 %. Cela était bien en deçà du taux moyen de 2,6 % qui était en vigueur à l’époque au Canada, selon la Banque mondiale. Selon le Public Company Accounting Oversight Board des États-Unis, des transactions de la sorte peuvent « indiquer l’existence de parties liées », fait remarquer Greenpeace.

L’autre aspect sur lequel le groupe écologiste s’appuie afin d’établir des liens entre Paper Excellence, Sinar Mas et sa filiale est le chevauchement de gestionnaires et de professionnels comme des lobbyistes. Le rapport nomme des cadres qui, dans le passé, ont simultanément été employés de Paper Excellence en plus d’être administrateurs de certaines divisions d’APP entre 2007 et 2018. Dans leur inscription au registre des lobbyistes de la Colombie-Britannique, des lobbyistes de Paper Excellence Canada précisent également être affiliés à Sinar Mas.

On ne dit pas si la transaction pour acheter Résolu est bonne ou mauvaise. Nous désirons mettre en lumière des informations qui montrent que la compagnie a des liens avec des entreprises qui ont de piètres bilans en matière d’environnement ailleurs dans le monde.

Priyanka Vittal, avocate chez Greenpeace Canada

Paper Excellence est également impliquée dans un litige avec la Nouvelle-Écosse. Son usine de pâte dans la province s’est placée à l’abri de ses créanciers en 2020 après avoir été contrainte à l’arrêt puisque son procédé de traitement des effluents résiduels était jugé inadéquat. L’entreprise a répliqué l’an dernier avec une poursuite de 450 millions visant le gouvernement néo-écossais.

Résolu a été ciblée à maintes reprises par Greenpeace ces dernières années. La relation entre la compagnie et l’organisme est houleuse. Greenpeace s’était publiquement excusé auprès de la compagnie forestière après l’avoir erronément accusée. Aux États-Unis, Résolu poursuit Greenpeace en diffamation.

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  • 3500
    Effectif québécois de Résolu, qui compte quelque 6500 salariés
    SOURCE : résolu