Le Canadien National (CN) n’aura pas le temps de s’apitoyer sur son sort après avoir vu Kansas City Southern (KCS) lui faire faux bond en optant pour l’offre d’achat du Canadien Pacifique (CP). Sa haute direction devra tenter de calmer les ardeurs d’un des plus importants actionnaires de l’entreprise, qui exige des changements.

Ce choix de l’entreprise américaine, annoncé mercredi, constitue le plus récent chapitre d’un affrontement d’environ quatre mois ayant opposé les deux grands chemins de fer canadiens. Ceux-ci convoitaient KCS en raison de ses actifs ferroviaires procurant un accès au Mexique.

Si son mariage avec l’entreprise américaine est accepté par les autorités réglementaires des États-Unis, c’est le CP, grand rival du CN, établi à Montréal, qui sera le premier transporteur à exploiter un réseau reliant le Canada, les États-Unis et le Mexique.

« Bien que nous soyons déçus de ne pas pouvoir offrir les nombreux avantages indéniables de cette opération, l’offre proposée à KCS était audacieuse et stratégique et a tout de même produit des résultats positifs pour le CN », a indiqué le président-directeur général de l’entreprise, Jean-Jacques Ruest, dans une déclaration.

Celui-ci n’était pas disponible pour accorder des entrevues, mercredi.

Un ménage réclamé

Un autre défi risque toutefois de se pointer à l’horizon pour M. Ruest et quatre autres membres du conseil d’administration, dont le président Robert Pace. Deuxième actionnaire en importance du CN avec une participation de 5,2 %, TCI Fund Management souhaite la tenue d’une assemblée extraordinaire des actionnaires de l’entreprise pour effectuer un ménage au sein du conseil en y ajoutant quatre membres qu’elle a choisis.

Le fonds londonien, qui traîne une réputation de militant et qui est aussi le plus important actionnaire du CP, répète depuis le mois de mai que le CN devrait plutôt s’affairer à améliorer l’efficacité de ses activités plutôt que de se lancer dans un projet d’acquisition coûteux. TCI souhaite remplacer M. Ruest par Jim Vena, ancien chef de l’exploitation du CN.

« Si TCI n’avait pas fait part publiquement de ses préoccupations et de son intention de demander une assemblée spéciale, nous croyons que le conseil actuel aurait poursuivi [ses démarches] », a fait valoir la firme, dans une déclaration envoyée à La Presse.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jean-Jacques Ruest, président-directeur général du CN

Mercredi, le CN n’avait pas encore reçu de demande en bonne et due forme pour la tenue d’une assemblée extraordinaire. TCI n’a pas offert de détails sur les appuis récoltés jusqu’à présent auprès des actionnaires.

Dans une présentation destinée aux investisseurs, la firme britannique estime que le réseau du CN figure parmi les meilleurs en Amérique du Nord.

Si le ratio d’exploitation – une mesure de l’efficacité qui exprime les dépenses en tant que pourcentage des revenus – du CN était le meilleur de l’industrie nord-américaine en 2017 (59,8 %), l’entreprise arrivait en queue de peloton au deuxième trimestre (61,6 %) de 2021.

« Des problèmes clés », selon un analyste

« Des problèmes clés au cours des dernières années ont affecté le rendement opérationnel du CN », a souligné Benoit Poirier, de Valeurs mobilières Desjardins, dans une note publiée cette semaine.

L’analyste a estimé qu’il y avait eu un sous-investissement dans le réseau en 2016 et 2017 ayant ouvert la voie à de graves problèmes de services ayant mené au congédiement du grand patron Luc Jobin en 2018. Ce dernier avait été remplacé par M. Ruest.

  • Le réseau du Canadien National

    IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DU CN

    Le réseau du Canadien National

  • En rouge, le réseau du Canadien Pacifique, et en bleu, celui de Kansas City Southern

    IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DU CP

    En rouge, le réseau du Canadien Pacifique, et en bleu, celui de Kansas City Southern

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À cela s’ajoute la grève d’une semaine des quelque 3200 chefs de train, agents de train et agents de triage en novembre 2019, ainsi que les blocus ferroviaires survenus dans les mois qui ont suivi.

« Je reconnais que les investisseurs commencent à perdre patience et que les résultats récents [au CN et chez Union Pacific de M. Vena], de même que le succès des investisseurs militants dans l’industrie ferroviaire risquent de devenir hautement attrayants pour les actionnaires », avait récemment écrit l’analyste Cherilyn Radbourne, de la TD, dans une note.

Incertitude réglementaire

Le mariage de 33,6 milliards US entre le CN et KCS semblait se diriger vers un déraillement depuis le 31 août, lorsque les autorités américaines ont refusé la demande du transporteur montréalais visant à mettre sur pied une fiducie avec droit de vote en jugeant que la proposition n’était pas conforme à l’intérêt public.

Cet outil aurait permis au CN de détenir les actions de KCS pendant l’examen de la transaction, qui aurait pu s’échelonner jusqu’à la fin de 2022. Les actionnaires de KCS auraient également été payés plus rapidement, sans devoir attendre la clôture de la transaction.

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La tournure des évènements avait incité KCS à considérer l’offre relevée du CP de 31 milliards US jugée moins risquée d’un point de vue réglementaire.

En raison de sa plus petite taille, le CP avait obtenu la permission d’utiliser une fiducie avec droit de vote. Un regroupement entre le CP et KCS sera également examiné en vertu de règles moins strictes aux États-Unis. Cela ne garantit toutefois pas qu’il sera approuvé. Les actionnaires de KCS devront voter sur l’offre.

L’étendue du réseau du CN au Canada et aux États-Unis est de 32 000 km. Celui d’une combinaison entre le CP et KCS est estimé à 32 400 km.

Le CN empochera néanmoins un prix de consolation. En vertu de son entente avec KCS, l’entreprise obtiendra 700 millions US en frais de résiliation ainsi que le remboursement de frais similaires auparavant versés au CP.

À la Bourse de Toronto, l’action du CN, qui n’aura finalement pas à s’endetter pour financer l’acquisition de KCS, a pris mercredi 2,06 $, ou 1,4 %, pour se négocier à 147,79 $. Le titre du CP cotait à 86,77 $, en hausse de 29 cents, ou 0,3 %.

Chronologie de l’affrontement

21 mars : Le CP et KCS annoncent une entente valorisée à 29 milliards US qui permettrait à l’entreprise canadienne d’acheter la société américaine.

20 avril : Le CN entre dans la danse avec une proposition rivale évaluée à 33,6 milliards US pour KCS.

21 mai : Le chemin de fer américain met fin à son entente avec le CP pour se tourner vers l’offre du CN, jugée supérieure.

10 août : Le CP, qui estime que le mariage entre le CN et KCS est risqué d’un point de vue réglementaire, revient à la charge avec une offre de 31 milliards US. KCS ne bronche pas.

31 août : Le CN apprend qu’il ne pourra mettre sur pied une fiducie avec droit de vote.

12 septembre : Le transporteur américain juge que l’offre bonifiée du CP est supérieure à celle du CN.

15 septembre : KCS déchire son entente avec le CN et opte pour le CP.