(Paris) Les grandes compagnies pétrolières et gazières viennent d’annoncer des pertes gigantesques de plusieurs dizaines de milliards de dollars avec la crise de la COVID-19, qui les contraint à s’adapter plus vite face à de sombres perspectives.

Les cinq plus grandes entreprises privées du secteur – BP, Chevron, ExxonMobil, Royal Dutch Shell et Total – ont enregistré pour près de 53 milliards de dollars de pertes nettes au total au deuxième trimestre, selon leurs résultats publiés ces derniers jours.

Ces mauvais chiffres ne constituent pas vraiment une surprise : les cours du pétrole ont chuté durant la crise sanitaire, au point de tomber même brièvement en territoire négatif, les opérateurs étant alors prêts à payer pour qu’on les débarrasse de leurs barils.  

Certains secteurs, comme le transport aérien, ont été mis quasiment à l’arrêt tandis que les pays producteurs ont tardé à réduire l’offre dans un marché saturé.

Mais ces résultats sont aussi marqués par d’énormes dépréciations : les compagnies pétrolières ont revu la valeur comptable de leurs actifs au regard de cours du pétrole plus bas prévus ces prochaines années mais aussi d’une transition énergétique qui s’accélère.

« Ces actifs seront soit moins rentables lorsqu’ils arriveront sur le marché ou ne seront pas du tout produits », explique David Elmes, professeur à la Warwick Business School.

Après BP et Shell, Total a ainsi annoncé des dépréciations exceptionnelles de 8,1 milliards de dollars.

Le groupe français suppose que dans un futur où la demande pétrolière aura tendance à baisser, une partie de ses hydrocarbures en réserve restera peut-être dans le sous-sol. Et ce seront d’abord les plus chers à produire qui seront abandonnés, à l’instar des sables bitumineux canadiens.

« Les énormes dépréciations font partie d’une tendance de fond : la rapidité avec laquelle les énergies renouvelables deviennent compétitives met en danger les entreprises énergétiques traditionnelles », souligne Arthur van Benthem, professeur associé à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie.  

Remise à plat

Si l’on met de côté ces éléments comptables, les groupes européens s’en sont toutefois plutôt mieux sortis que leurs concurrents américains, parvenant même pour certains à dégager des bénéfices hors éléments exceptionnels.

Shell et Total ont ainsi bénéficié de l’apport de leurs activités de négoce, qui consistent à acheter et vendre les hydrocarbures sur les marchés. Ces activités spéculatives se portent bien en général lorsque tout le reste va mal.  

La directrice financière de Shell, Jessica Uhl, a d’ailleurs salué la « performance solide » du négoce dans un contexte de « volatilité de marché sans précédent ».

Toutefois, la situation reste globalement difficile pour toutes les entreprises du secteur, qui ont dû rapidement adopter des mesures pour réduire leurs coûts et leurs investissements.

Les approbations de nouveaux projets pétroliers et gaziers devraient ainsi chuter de plus de 75 % cette année par rapport à 2019, selon le cabinet spécialisé Rystad Energy, qui tablait en début d’année sur la stabilité.

Ces difficultés accentuent aussi la pression sur les géants du secteur pour accélérer leur mue vers les énergies moins émettrices de gaz à effet de serre, comme l’électricité d’origine renouvelable, dont les revenus sont aussi plus prometteurs.

BP vient d’annoncer vouloir décupler ses investissements dans les énergies à faible émission de carbone d’ici à 2030, avec un repli de 40 % de sa production d’hydrocarbures.

Ces annonces stratégiques représentent « une grande avancée », a jugé Luke Parker, du cabinet spécialisé Wood Mackenzie. « S’il y avait bien un moment pour tout remettre à plat, c’était bien maintenant », juge l’analyste.  

« La montée plus rapide que prévu des énergies renouvelables, les inquiétudes croissantes sur la crise climatique et la récente récession causée par la COVID-19 ont montré à quel point le secteur pétrolier est vulnérable », résume Arthur van Benthem.

« De plus en plus d’entreprises et de pays se préparent à un futur où les émissions de CO2 seront faibles. Donc pourquoi ne pas commencer à investir maintenant dans l’économie du futur ? », conclut-il.

Les grandes compagnies internationales « disposent de la taille et de l’argent pour se détourner des énergies fossiles avec le temps », remarque David Elmes. Mais choisir le bon moment pour cette révolution représente « un choix difficile ».