La pandémie de COVID-19 a temporairement changé le visage de plusieurs entreprises, qui ont décidé de fabriquer certains produits difficiles à obtenir. À plus long terme, certaines pourraient bien décider de conserver la corde qu’elles viennent d’ajouter à leur arc.

Il serait surprenant de voir des multinationales comme General Motors et Ford — qui ont accepté de produire des respirateurs au sud de la frontière — sortir de la crise plus diversifiées. Mais au Québec, le nouveau coronavirus semble avoir déclenché une réflexion chez certaines entreprises ayant décidé de mettre l’épaule à la roue pour pallier certaines pénuries.

« Je vais prendre tous les moyens possibles pour conserver cette diversification, a expliqué jeudi le président de Vêtements S.P. et 3B Hockey, Steve Bérard, au cours d’une entrevue téléphonique. Si j’ai la possibilité de grandir parce qu’on peut fabriquer des produits médicaux, on va le regarder. »

Reconnue pour fabriquer notamment les uniformes des équipes de la Ligue nationale de hockey, l’entreprise, qui exploite des usines à Granby et Saint-Hyacinthe et qui compte parfois jusqu’à 280 employés, s’est tournée vers les blouses et des masques pour le personnel des hôpitaux québécois.

L’homme d’affaires aimerait conserver l’expertise que la compagnie développe rapidement. Si les gouvernements s’engagent à acheter d’importants volumes auprès de producteurs locaux, Vêtements S. P. et 3B Hockey pourraient se diversifier rapidement, selon son président.

« Cela (l’équipement médical) pourrait générer jusqu’à 50 % de mon chiffre d’affaires, a dit M. Bérard. Notre entreprise est cyclique. Plutôt que de faire des mises à pied temporaires à certains moments, je pourrais garder ces employés pour de la fabrication médicale. »

Une proximité

Pur Vodka est surtout connue auprès des consommateurs parce que son expertise a été reconnue à plus d’une reprise à l’international. L’entreprise fait maintenant partie des distilleries et des producteurs de boissons alcoolisées qui expédient du désinfectant à main.

Est-ce que la compagnie pourrait un jour produire à la fois de la vodka et des produits antiseptiques ? Il est peut-être encore trop tôt pour répondre à cette question, estime son président-directeur général Nicolas Duvernois. L’entrepreneur a néanmoins appris quelque chose d’étonnant au cours des derniers jours.

« Fabriquer du désinfectant exige à peu près les mêmes connaissances que pour les spiritueux, a-t-il lancé au cours d’un entretien téléphonique. Il faut une ligne d’embouteillage, des étiquettes, des boîtes de carton. C’est un cousin qui était plus proche que l’on pensait. »

La conversion n’a toutefois pas été de tout repos, a expliqué M. Duvernois, qui estime être dans une « nouvelle aventure » sans savoir où cela mènera la compagnie. Pur Vodka a envoyé jusqu’à présent quelque 4000 litres de désinfectant à la Société des alcools du Québec, ce qui lui a permis de conserver ses employés alors que ses ventes d’alcool ont plongé en raison des moyens pris pour limiter la propagation de la COVID-19.

Il n’est pas surprenant d’assister à la conversion de certaines compagnies, a estimé le professeur Karl Moore, du Département de gestion de l’Université McGill, en soulignant qu’un entrepreneur cherche toujours à répondre à un besoin.

« La demande a explosé pour le désinfectant, mais elle finira par fléchir, a-t-il expliqué au bout du fil. Est-ce que cela sera suffisant pour inciter une distillerie à abandonner l’alcool ? Probablement pas. Mais on pourrait voir des entreprises tabler sur un plus large éventail de produits. »

M. Moore a souligné que les changements risquent surtout de s’observer chez des entreprises de petites et moyennes tailles, puisqu’il serait surprenant de voir des multinationales comme Ford et Bombardier délaisser des secteurs où elles sont bien établies.

Prendre les devants

Pour d’autres compagnies, la pandémie a servi de déclencheur. Neptune Solutions bien être, présente notamment dans le secteur du cannabis, a annoncé jeudi avoir obtenu l’autorisation de Santé Canada afin de produire un désinfectant pour mains fabriqué à base de plantes.

L’entreprise québécoise, qui souhaite aussi avoir le feu vert aux États-Unis, estime être en mesure de commercialiser son nouveau produit préparé avec des huiles essentielles et des extraits de fruits dans environ quatre mois. La production se fera dans ses usines de Sherbrooke et de Caroline du Nord.

« La crise a secoué les choses, a expliqué le président de la division du cannabis de Neptune, Michel Timperio, au cours d’une entrevue téléphonique. Notre décision est attribuable à l’après-crise. Les comportements vont changer. Ce sera la norme d’avoir du désinfectant sur nous. »

Les compagnies qui pourront traverser la tempête économique provoquée par la pandémie sans avoir eu à changer de vocation devraient tirer des leçons, croit le professeur de stratégie à HEC Montréal Louis Hébert.

« Elles vont peut-être adopter une réflexion stratégique où elles vont se rendre compte que les scénarios de crise devront être considérés de manière plus attentionnée », a illustré l’expert.

Lorsqu’une situation inhabituelle survient, « ce qui apparaît complètement fou est peut-être possible », selon l’expert, ce qui explique pourquoi des entreprises peuvent, par exemple, produire du désinfectant alors que cela n’était pas le cas auparavant.