(Helsinki) Aubaine ou cadeau empoisonné ? Bénéficiaires apparents des restrictions d’accès à la 5G subies par l’équipementier chinois Huawei, ses concurrents nordiques, Nokia et Ericsson, vont devoir se retrousser les manches pour répondre à la demande, avertissent les analystes.

Mardi, la Grande-Bretagne a limité l’accès à ses réseaux 5G pour protéger les équipementiers télécoms « à risque » puis l’UE lui a emboîté le pas en invitant les États membres à éviter de dépendre de fournisseurs « à haut risque ».

Ni Londres ni Bruxelles n’ont nommément visé le géant chinois Huawei, accusé par Washington d’espionner pour le compte de Pékin, ce qu’il nie fermement. Ils ne l’ont pas non plus exclu des réseaux, mais leurs décisions ouvrent des perspectives aux deux principaux concurrents de l’entreprise chinoise, le Finlandais Nokia et le Suédois Ericsson.

L’opérateur « BT au Royaume-Uni pense qu’il va lui en coûter 500 millions de livres pour remplacer Huawei, donc une bonne partie de cette somme va maintenant aller à Nokia et Ericsson », explique à l’AFP l’analyste Matthew Howett, d’Assembly Research.

Vendredi, Nokia a salué les orientations et l’engagement de l’UE en matière de cybersécurité.

Ericsson s’est lui félicité, par communiqué, de l’« approche globale » adoptée au sein de l’UE et s’est dit « prêt à soutenir ce processus pour assurer un niveau élevé de protection des citoyens et des entreprises européens ».

Mais pour les observateurs, il n’est peut-être pas si simple pour ces équipementiers de répondre à la demande accrue créée par l’exclusion partielle de Huawei, leader du marché.

Le groupe chinois est largement considéré comme le fournisseur le plus avancé en termes de 5G, avec une technologie permettant des transferts de données ultrarapides, nécessaires aux voitures à conduite autonome et aux robots télécommandés dans les usines ou les salles d’opération.

Inquiétudes mondiales

« Il faut une discussion sur la position de leader de Huawei, et sur l’état de préparation de Nokia et Ericsson pour y parvenir au cours des trois prochaines années », estime M. Howett.  

« Peuvent-ils procurer aux opérateurs de réseaux les équipements dont ils ont besoin dans les délais prévus ? », s’interroge-t-il.

En 2019, Nokia a revu à la baisse ses prévisions pour cette année en raison de la concurrence féroce sur le marché 5G, tandis que son PDG Rajeev Suri a minimisé les retards de l’entreprise dans la livraison de certaines commandes d’équipement.  

Toute difficulté à répondre à la demande sera ressentie par les consommateurs européens, prévient Neil Mawston, analyste chez Strategy Analytics.

La Grande-Bretagne et l’UE ne sont pas les premières puissances à agir vis-à-vis de Huawei, dans le collimateur de Washington qui lui a totalement interdit de participer au déploiement du réseau mobile de cinquième génération aux États-Unis.

En 2010, le gouvernement indien avait interdit l’importation d’équipements de télécommunication chinois pendant plusieurs mois, à la suite d’une dispute sur le piratage informatique.

L’analyste en télécommunications Anders Elgemyr, de la banque d’investissement Carlsquare, estime que des opérateurs commencent à se tenir à l’écart de Huawei, au profit d’Ericsson et de Nokia, de peur de faire fuir les clients.

« Si vous perdez des clients parce que vous utilisez des équipements Huawei, alors vous les évitez », résume M. Elgemyr à l’AFP.

Vendredi, l’un des plus grands opérateurs de téléphonie mobile d’Europe, Orange France, a choisi Nokia et Ericsson pour le déploiement de réseaux 5G dans tout le pays.

Cependant, la bataille pour les contrats en Europe reste féroce : Orange a utilisé Huawei sur ses autres marchés.

En Allemagne, l’entreprise chinoise a obtenu un contrat pour fournir la 5G à Telefonica.

À la mi-janvier, Ericsson a déclaré à l’AFP avoir signé un total de 79 contrats pour la 5G alors que Nokia en annonçait 63.  

Auprès de l’AFP, Huawei rendait compte en décembre de 65 commandes.

Selon M. Elgemyr, Huawei pourrait cibler les marchés asiatiques, sud-américains ainsi que le Moyen-Orient et l’Afrique – ce qui pourrait à son tour entraîner une pression accrue sur Nokia.

D’aucuns accusent Huawei de bénéficier d’aides publiques disproportionnées par rapport à ses concurrents.  

Une analyse réalisée par le Wall Street Journal a révélé qu’entre 2013 et 2018, le groupe chinois a reçu 17 fois plus d’argent public que Nokia, alors qu’Ericsson n’en a pas obtenu.

Lutte politique

Savoir qui, à long terme, bénéficiera des nouvelles réglementations va dépendre de leurs mises en œuvre.

« La limite de 35 % fixée par le Royaume-Uni […] sera-t-elle une ligne directrice souple ou un arrêt définitif ? », interroge Neil Mawston, en référence à la décision de Londres de limiter la part de marché de Huawei à 35 % dans les infrastructures non stratégiques comme les antennes-relais.  

Contrairement aux États-Unis, la Grande-Bretagne utilise la technologie Huawei dans ses systèmes depuis 15 ans.

Les responsables américains sont catégoriques : pour eux, il n’existe « aucune option sûre » permettant la participation de Huawei au réseau, et les plans britanniques et européens visant à exclure les opérateurs à risque des lieux « sensibles », tels que les sites nucléaires et les bases militaires, ne les ont pas convaincus.  

« Ce bras de fer politique sur la 5G va se poursuivre pendant le reste de la décennie », prédit M. Mawston.