La Ville de Laval a-t-elle bien fait d’accorder 400 000 $ à Couche-Tard pour l’agrandissement de son siège social, deux ans après que l’entreprise eut pris la décision d’agrandir ? Non, tranchent deux experts en gouvernance consultés par La Presse

« On cherche la logique à cette décision, dit Michel Magnan, professeur en gouvernance à l’Université Concordia. Un programme [de subventions] doit être efficace et changer le comportement des gens pour les amener à réaliser des projets qui ne l’auraient pas été sinon. Si on offre des avantages après coup, ça ne me semble pas très efficace. Si on ouvre la porte comme ça, il y a beaucoup de gens qui pourraient demander des choses rétroactivement. On n’en sortira pas. »

Le professeur et ex-ministre des Affaires municipales Rémy Trudel conteste le côté discrétionnaire du montant accordé par la Ville de Laval à Couche-Tard. Ce montant a été accordé à même une enveloppe discrétionnaire permise en vertu de la loi depuis 2006 (jusqu’à 250 000 $ par an), mais qui n’avait jamais été utilisée auparavant par la Ville de Laval.

« On n’accorde pas de l’aide uniquement parce qu’on la demande. Il faut que ça réponde à des critères, qui servent à justifier la décision vis-à-vis des citoyens », dit Rémy Trudel, professeur invité à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

Le montant de 400 000 $ – soit 80 000 $ par an pour les années 2019 à 2023 – a été avalisé plus tôt en septembre par le conseil municipal de Laval. Un seul des 21 conseillers municipaux, Claude Larochelle du Parti Laval – Équipe Michel Trottier, a voté contre l’attribution de cette somme à Couche-Tard.

Je n’ai rien contre Couche-Tard, c’est une entreprise formidable. Ils se sont fait offrir un cadeau et ils ont dit oui. Tout a été fait arbitrairement pour Couche-Tard. Laval n’avait jamais utilisé cette somme [discrétionnaire]. C’est un peu surprenant qu’on offre ça à une entreprise qui a un chiffre d’affaires de 77 milliards.

Le conseiller municipal Claude Larochelle, du Parti Laval – Équipe Michel Trottier

« Sortir arbitrairement 400 000 $ des taxes des contribuables dans une ville déjà surtaxée, c’était fort de café », ajoute M. Larochelle.

Pourquoi verser un montant à Couche-Tard deux ans après l’annonce de l’agrandissement du siège social ? « L’ensemble des travaux et le projet devaient être complétés et les 200 emplois créés avant de considérer un incitatif au développement économique », a indiqué par courriel la Ville de Laval.

À Québec, le gouvernement Legault n’a pas voulu se mêler du dossier. Tout en soulignant que la Ville de Laval a respecté la loi, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, estime que les villes « sont redevables envers leurs citoyens et [qu’] elles doivent justifier leurs décisions », a indiqué son cabinet par courriel.

Une demande de Couche-Tard ou une offre de Laval ?

La Ville de Laval et Couche-Tard n’ont pas la même version des évènements.

Selon la Ville de Laval, Couche-Tard aurait demandé le montant alors que l’entreprise étudiait deux options : agrandir son siège social à Laval et ouvrir un autre bureau ailleurs aux États-Unis. « L’expansion aurait été ailleurs [sans l’entente avec la Ville de Laval]. M. [Alain] Bouchard me l’a dit clairement. […] M. Bouchard [est] comme la majorité des hommes d’affaires, ce qu’ils veulent, c’est faire de l’argent et prendre les meilleures décisions », a dit le maire de Laval, Marc Demers, au 98,5 FM hier matin. Le maire Demers a refusé hier notre demande d’entrevue.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Bouchard, fondateur et président exécutif du conseil de Couche-Tard

Couche-Tard soutient plutôt que c’est le maire de Laval lui-même qui a proposé l’aide de 400 000 $ en 2017, disant qu’il s’agissait d’un « programme existant ». « Le soutien financier obtenu était fait de façon légitime et légale, d’un programme existant et offert par la Ville de Laval, pour des travaux d’agrandissement en 2017, à la suite de la création de 200 emplois à notre siège social, où plus de 500 personnes travaillent », a indiqué par courriel l’entreprise.

De façon générale, les villes n’ont pas le droit d’accorder des exemptions fiscales (« congés de taxes »). Mais il y a des exceptions. Depuis 2006, les villes ont deux options si elles veulent accorder des exemptions pour des rénovations ou un agrandissement d’immeubles : mettre sur pied un programme général avec des critères précis, ou utiliser une enveloppe discrétionnaire (maximum de 250 000 $ pour une ville de la taille de Laval). La Ville de Laval a un programme général à cet égard depuis janvier 2019, mais aucun contribuable ne l’a utilisé. En théorie, la loi permet aux villes comme Laval de se doter d’un tel programme depuis 2006.

— Avec Isabelle Dubé, La Presse