(Paris) Près de deux ans après le début de la guerre en Ukraine, l’économie russe, semble tenir le choc malgré une avalanche inédite de sanctions européennes, au bénéfice du président Poutine qui va briguer un cinquième mandat, mais les responsables occidentaux misent sur le temps long.

« Nous avons surmonté tous les problèmes apparus après la mise en place des sanctions », assénait en octobre Vladimir Poutine, dont la réélection en mars prochain fait peu de doute.

Militairement et économiquement, la Russie apparaît en meilleure posture qu’il y a deux ans, lorsqu’elle a envahi l’Ukraine.

Un douzième paquet de sanctions est actuellement en discussion dans l’UE, après onze trains de mesures sans précédent contre la 9e économie mondiale : gel de 300 milliards d’euros d’avoirs de la Banque centrale russe, embargo pétrolier, interdiction d’exportations de haute technologie…

Au total, selon les chiffres officiels européens, 49 % des exportations européennes vers la Russie et 58 % des importations russes sont sous sanctions.

Pourtant, « l’économie russe a montré une résilience remarquable face à ces mesures punitives », relève un rapport en novembre du think tank allemand Zois (Centre pour les études est-européennes et internationales).

Les statistiques officielles russes, dont la fiabilité est mise en doute par de nombreux experts occidentaux, donnent un PIB en hausse de 5,5 % au troisième trimestre de 2023 et une prévision de croissance supérieure à 2 % pour 2024.

Pour Zois, l’économie russe, « sous tension continue depuis 15 ans » avec la crise financière de 2008, les sanctions liées à l’annexion de la Crimée en 2014, la COVID-19 et enfin l’invasion de l’Ukraine, a développé une capacité d’adaptation rapide. Notamment en matière de contournement des sanctions.

« Arrangements »

À cet égard, Moscou a créé une « flotte de l’ombre et une infrastructure financière parallèle », relève la chercheuse de Carnegie Alexandra Prokopenko, qui travaillait à la Banque centrale de Russie jusqu’au début 2022. « Le principal revenu de la Russie provient toujours des hydrocarbures », grâce aux « arrangements » avec ses principaux acheteurs, Chine et Inde particulièrement, relève-t-elle.

« Turquie et Kazakhstan sont devenus de véritables hubs logistiques » pour la Russie, ajoute-t-elle, notamment pour contourner les sanctions sur les biens technologiques, comme les semi-conducteurs indispensables à l’industrie de défense.

Les technologies occidentales nécessaires pour les drones, les missiles, les communications viennent aussi en grande partie de la Chine, selon un responsable ukrainien.

Les pays européens participent eux-mêmes au système, avec par exemple l’explosion de leurs exportations vers les anciennes républiques soviétiques Kazakhstan, Kirghizistan, Arménie… vraisemblablement réexportées vers la Russie.

Et dans le domaine des hydrocarbures, l’UE a augmenté ses achats de gaz liquéfié (GNL) russe (non soumis à embargo) de plus de 40 % sur les sept premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2021, pour une valeur de quelque 5,29 milliards d’euros, dénonçait fin août l’ONG Global Witness.

Long terme

« Oui, il y a des incohérences européennes, et oui, la Russie parvient à contourner les sanctions. Pour autant, je pense qu’elles marchent. C’est un marathon, pas un sprint », assure la spécialiste Agathe Demarais, de l’ECFR, ajoutant : « Les sanctions ne visent pas à provoquer un effondrement de l’économie russe ni un changement de régime, leur but est de limiter les capacités de la machine de guerre russe. »

« Les sanctions ont un impact. Elles sont comme une petite crevaison dans un pneu. Ce n’est pas immédiat, mais ça marche », estime une source diplomatique européenne.

Toute l’économie russe s’est réorientée vers l’effort de guerre, avec une envolée des dépenses militaires de 70 % prévue l’an prochain.  

« L’économie est devenue accro » aux dépenses militaires, pointe Alexandra Prokopenko, pour qui « tous les signes de surchauffe sont là ».

« Combien de temps peut durer cette économie de guerre ? La paix sociale coûte cher aussi », relève Agathe Demarais, alors que l’inflation continue d’augmenter rapidement. Les sanctions, même si ce n’est pas leur but, ont certes des impacts concrets sur le quotidien de certains Russes : difficultés à voyager vers les pays de l’UE (transports, visas…) difficultés de paiement et transfert d’argent…

D’autres vivent leur meilleure vie, bénéficiant des contrats liés à la guerre : « l’argent coule à flots à Moscou », écrivait récemment le politologue russe Sergei Medvedev sur Facebook.

Mais, dans sa majorité, le peuple russe, resté pauvre, « n’a connu aucune amélioration de son bien être depuis 2014 », et les premières sanctions après l’annexion de la Crimée, rappelle le chercheur Vladislav Inozemtsev dans un article de Politique étrangère. « Nul ne s’attend à ce que la croissance reprenne », dit-il.

Les sanctions ne sont par ailleurs qu’un outil dans la stratégie de soutien à l’Ukraine adoptée par les Occidentaux. Mais à un moment où le front est figé et où l’aide à Kyiv semble remise en question, l’Ukraine a-t-elle le temps d’attendre que les sanctions marchent ?

« C’est toute la question, relève Mme Demarais. Les pays occidentaux sont la principale faiblesse de l’Ukraine. »