Depuis 110 ans, le canal de Panama et ses écluses permettent aux navires de se déplacer rapidement entre les océans Pacifique et Atlantique, facilitant le commerce international.

Cependant, en raison d’une sécheresse, le canal manque d’eau. Les autorités ont dû réduire le nombre de navires autorisés à passer. Cela engendre des problèmes et des coûts pour les sociétés maritimes. Au Panama, on se pose des questions difficiles sur l’utilisation de l’eau. Le passage d’un seul navire consomme autant d’eau qu’un demi-million de Panaméens en une journée.

On n’a jamais vu de perturbations aussi graves.

Oystein Kalleklev, PDG d’Avance Gas, qui transporte du propane des États-Unis vers l’Asie

Le canal de Panama, une merveille d’ingénierie inaugurée en 1914, traite environ 5 % du commerce maritime. Ses problèmes illustrent encore une fois la fragilité de certains éléments cruciaux de la chaîne d’approvisionnement mondiale. En 2021, un porte-conteneurs géant s’est échoué dans le canal de Suez, bloquant durant six jours le transport. Durant la pandémie, l’énorme demande de produits médicaux et d’une foule de produits pour la maison a poussé la chaîne d’approvisionnement à son point de rupture.

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Les problèmes du canal de Panama illustrent encore une fois la fragilité de certains éléments cruciaux de la chaîne d’approvisionnement mondiale.

Au Panama, le manque d’eau limite l’exploitation du canal depuis plusieurs années. Certains experts en transport maritime prédisent que des navires pourraient bientôt passer ailleurs si le problème s’aggrave. Cela priverait le gouvernement panaméen de dizaines de millions en revenus annuels. Des itinéraires plus longs rendraient le transport maritime plus cher et accroîtraient les émissions de gaz à effet de serre.

Pluie en baisse de 30 %

Le climat équatorial du Panama en fait un pays très humide, mais cette année, les précipitations y sont inférieures de 30 % à la moyenne : cela a fait chuter le niveau des lacs qui alimentent le canal et ses énormes écluses. La cause immédiate est le phénomène climatique El Niño, qui provoque un temps plus chaud et plus sec au Panama. Mais les scientifiques craignent que les changements climatiques prolongent les sécheresses dans la région.

Normalement, jusqu’à 38 navires par jour empruntent le canal, qui a été achevé par les États-Unis et est resté sous leur contrôle jusqu’en 2000. En juillet, l’administration du canal a réduit la moyenne à 32 navires et vient d’annoncer de nouvelles limites : on se dirige vers moins de 30 passages par jour, et moins encore si le niveau de l’eau reste bas. L’autorité du canal limite aussi le tirant d’eau autorisé, ce qui réduit de beaucoup la charge que peuvent transporter les navires.

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Des navires à l’ancre au large de la ville de Panama, dans l’océan Pacifique, attendant leur tour pour passer dans le canal de Panama vers l’océan Atlantique

Les porte-conteneurs, chargés de biens de consommation finis, réservent leur passage bien à l’avance et n’ont pas subi de longs retards.

Mais les navires transportant du fret en vrac réservent rarement. Alors les armateurs de vraquiers et de navires-citernes ont un dilemme : ils peuvent risquer d’attendre des jours, payer une grosse surprime pour passer avant les autres ou éviter le canal et passer par un itinéraire bien plus long.

En août, Avance Gas a payé 400 000 $ lors d’une vente aux enchères spéciale pour faire passer un navire avant son tour, doublant ainsi le coût du passage, dit M. Kalleklev. D’autres armateurs ont payé plus de 2 millions, un coût qu’ils assument parfois pour s’assurer qu’un navire arrive à temps pour sa prochaine cargaison. Une partie de ces coûts finit par être refilée au consommateur, déjà frappé par l’inflation.

Recherche de solutions

La sécheresse impose des choix difficiles aux dirigeants du Panama, qui doivent trouver un équilibre entre les besoins en eau du canal et ceux des habitants, dont plus de la moitié dépendent des mêmes sources d’eau que celles qui alimentent le canal.

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Le vraquier NSU Challenger dans l’écluse Cocoli du canal de Panama, près de la ville de Panama, point d’entrée du côté pacifique

L’administration du canal propose de construire un nouveau réservoir dans le fleuve Indio afin d’augmenter l’apport en eau et de hausser le trafic du canal, qui génère plus de 6 % du produit intérieur brut du Panama. Cela permettrait de 12 à 15 passages de plus par jour.

Le trafic optimal est de 38 passages par jour ; alors de 12 à 15 de plus, c’est beaucoup.

Rodrigo Noriega, avocat et chroniqueur pour le journal panaméen La Prensa

Le coût estimé du réservoir approche 900 millions. L’administration du canal vise un appel d’offres vers le milieu de 2024 et l’ouverture du chantier au début de 2025. Mais cet échéancier est optimiste : l’agrandissement des écluses a été achevé avec deux ans de retard, en 2016, et ce projet a été entaché par des litiges sur les coûts.

Le nouveau réservoir implique aussi l’acquisition de terres protégées par une loi de 2006 et le déplacement d’une partie des habitants. M. Noriega croit que le Parlement panaméen va annuler l’interdiction d’acquérir des terres. Mais il souligne que de nouvelles sources d’eau pourraient être trouvées ailleurs.

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Le niveau du lac Gatun, une des sources d’eau du canal de Panama, est très bas cette année.

Sans nouvel apport d’eau, le canal pourrait perdre une grande part de son activité. Les autres routes maritimes sont plus longues et coûteuses, mais le risque de retards imprévisibles y est moindre.

Une des possibilités est de faire passer les expéditions entre l’Asie et les États-Unis par le canal de Suez en direction des ports de la côte est du golfe du Mexique. On envisage aussi des routes Asie-côte Ouest, avec ensuite du transport vers l’est par train ou par camion.

« En théorie, le trajet le moins cher et le moins long est toujours préférable, mais à un moment donné, l’incertitude, c’est mortel », résume Chris Rogers, analyste principal en transport chez S&P Global Market Intelligence.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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