Après 10 hausses du taux directeur en 18 mois, la Banque du Canada fera une pause mercredi dans sa lutte contre l’inflation et laissera le taux inchangé à 5 %. C’est du moins l’opinion majoritaire au sein des économistes qui s’intéressent à la politique monétaire.

Cette pause probable, la deuxième depuis le début de la remontée des taux d’intérêt au printemps 2022, arrive au moment où la pression augmente sur la Banque du Canada pour qu’elle mette fin à des hausses qui font de plus en plus mal aux ménages canadiens.

Le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, et celui de l’Ontario, Doug Ford, ont expressément écrit au gouverneur de la Banque du Canada pour réclamer la fin des hausses de taux d’intérêt.

Au Québec, le premier ministre François Legault juge pour sa part qu’il vaut mieux laisser la Banque du Canada faire son travail. « Je ne pense pas que ça soit une bonne idée d’aller suggérer, d’aller se mettre les deux mains dans les décisions de la Banque du Canada, a-t-il dit lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet à Granby, lors de l’annonce d’un investissement. On peut aider les citoyens, on doit aider les citoyens, on a aidé les citoyens, on va continuer d’aider les citoyens, mais je ne pense pas que ça soit une bonne idée d’aller commencer à intervenir à la Banque du Canada ».

Une sortie des premiers ministres provinciaux n’était pas nécessaire pour convaincre la Banque du Canada de faire une pause, croit Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins. « Les données sont suffisamment convaincantes », estime-t-il en pointant la baisse du produit intérieur brut (PIB) de 0,2 % au deuxième trimestre.

Ce recul a surpris tout le monde, y compris la Banque du Canada elle-même qui avait prévu une croissance de 1,5 % du PIB plutôt qu’une baisse de 0,2 %.

En outre, Statistique Canada a révisé à la baisse la croissance du premier trimestre de l’année, de 3,5 % à 2,6 %. La Banque du Canada s’était basée en partie sur la forte croissance apparente du premier trimestre pour reprendre les hausses de taux en juin et en juillet, après une première pause.

Les données du PIB publiées la semaine dernière s’ajoutent aux autres signes de faiblesse de l’économie canadienne, comme la baisse des dépenses des consommateurs et la remontée du taux de chômage.

Le portrait de l’emploi le plus récent, celui d’août, sera connu vendredi et arrivera donc trop tard pour influencer la décision de la Banque du Canada mercredi. Mais les économistes s’attendent à ce que la création d’emplois continue de ralentir et que le taux de chômage augmente légèrement, de 5,5 % à 5,6 %. Ce serait la quatrième hausse consécutive du taux de chômage.

L’économiste Nathan Janzen, de la Banque Royale, souligne d’autres signes du ralentissement du marché du travail : la fréquence des changements d’emploi diminue et le nombre de postes vacants était redescendu en juin à son niveau le plus bas depuis deux ans.

Sur le front de l’inflation, les progrès sont notables, mais insatisfaisants pour la Banque du Canada.

La hausse des prix s’est accélérée en juillet, à 3,3 %, après une augmentation de 2,8 % en juin. Les chiffres du mois d’août seront connus le 19 septembre. L’indice des prix à la consommation avait dépassé les 8 % en juin 2022.

Plus de transparence

La pause attendue des hausses du taux directeur de la Banque du Canada ne signifie toutefois la fin des hausses, ni que le taux est à la veille de redescendre.

« Il est peu probable que la banque centrale exclue la possibilité de nouvelles hausses des taux cette année, estiment les économistes de la Banque Nationale Kyle Dahms et Jocelyn Paquet, mais il se pourrait qu’elle dispose de signes suffisants de ralentissement ces derniers mois pour pouvoir s’accorder un peu de patience ».

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, doit prononcer un discours jeudi, le lendemain de la décision sur les taux, où il pourrait expliquer la vision des autorités monétaires pour la suite des choses.

Selon l’économiste et sénatrice Diane Bellemare, la Banque du Canada manque de transparence sur la conduite de sa politique. La banque centrale a commencé à publier les discussions sur les délibérations qui précèdent ses décisions sur les taux d’intérêt. Elle a aussi nommé un sous-gouverneur indépendant et non dirigeant, Nicolas Vincent, pour avoir une opinion externe sur la politique monétaire, mais ça reste insuffisant, selon Diane Bellemare.

Dans une lettre publiée par Le Devoir, l’économiste déplore que la Banque du Canada prenne ses décisions en vase clos, sans les justifier auprès des Canadiens. « Elle ne présente pas les coûts économiques ni financiers de cette stratégie pour les particuliers, les entreprises et les gouvernements, ni les effets redistributifs, les effets sur les investissements, la productivité, ni les indicateurs spécifiques à la base des décisions. Une évaluation constante des coûts et des avantages de la stratégie s’impose », écrit-elle.

Avec la collaboration de Julien Arsenault, La Presse